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montre de belles parties, mais le goût académique s’y fait trop sentir. Le Bacchus et Ariane s’éloigne encore plus de ses anciens ouvrages ; on y trouve plus d’afféterie que de délicatesse. Le Portrait équestre de Charles X, exposé au Salon de 1827, fit un effet plus fâcheux encore, car on pouvait s’attendre, par la nature du sujet, à retrouver dans ce tableau une partie de son ancienne inspiration.

Un triomphe inattendu, et ce fut le dernier, vint le consoler quelques instans. Ce succès eût dû imposer silence à la critique et s’étendre comme un bouclier sur les défaillances d’un si mâle talent. Après 1830, les fameuses batailles, cachées long-temps à tous les yeux, furent exposées au Luxembourg. La Bataille d’Aboukir avait été à elle seule l’objet d’une exhibition particulière. L’effet en fut immense, mais passager. Ces peintures étaient inconnues en quelque sorte à la nouvelle génération ; cependant on était à la fois trop près et trop loin de l’époque où tant de grandes actions avaient été célébrées par tant de génie, trop près, pour que l’effet du temps ait pu donner à ces peintures l’autorité de style et de caractère propre à les faire admirer indépendamment de la mode ; trop loin, pour que les idées et les sentimens qui avaient contribué au succès du peintre pussent agir dans le même sens sur un public nouveau. L’envie, lassée d’une longue admiration, forcée d’entendre encore une fois ce concert d’éloges, parvint sans peine à effacer cette émotion favorable dans des esprits distraits par d’autres événemens et attirés par d’autres spectacles.

Les plafonds du Louvre avaient été découverts avant cette époque ; nous avons dit que la manière de Gros se prêtait peu à la décoration. Le mélange de la convention et de la vérité glaçait toute sa verve, et comme Antée, dit un de ses historiens, il avait besoin, pour avoir toute sa force, de sentir la terre sous ses pieds. L’essai le plus malheureux dans ce genre, qui semblait se refuser à ses efforts, fut terminé à une époque plus récente encore ; il représente l’Humanité implorant l’Europe en faveur des Grecs. C’est l’Agésilas de ce génie aux abois et la plus triste expression de son affaiblissement. Il ne reste plus rien de lui dans cette immense toile, qui trahit la lassitude et presque l’ennui.

L’Hercule et Diomède fut exposé en 1835. Gros voulait répondre par un effort de science à ces détracteurs misérables qui lui reprochaient de n’être plus le peintre habile de tant de beaux ouvrages, disons mieux, qui affectaient même de méconnaître tout-à-fait son talent. Le mauvais succès de cette dernière tentative lui porta le coup suprême ; il se crut tout-à-fait oublié et presque déshonoré. « Pour avoir des travaux, disait-il dans son amertume, il faudra me traîner dans les bureaux du ministère ; là, je m’entendrai demander qui je suis, et, quand j’aurai décliné mon nom, l’on me demandera ce que j’ai fait. » Le grand artiste en vint à douter de lui-même. « Gros est donc mort ?