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à Vauvenargues : « Les premiers feux de l’aurore ne sont pas plus doux que les premiers rayons de la gloire. » — « Je devins à la mode, dit l’auteur des Mémoires, la tête me tourna ; j’ignorais les jouissances de l’amour-propre, et j’en fus enivré. » Cependant sa sauvagerie naturelle, le doute très sincère qu’il eut toujours de son génie, un sentiment grave et religieux de la vie qui ne l’abandonna jamais, tout cela aidait à le garantir du poison de la flatterie et des dangers plus attrayans encore qui se pressent toujours autour de toute gloire nouvelle, comme les papillons autour de la lumière. Du reste, même au milieu de ces souvenirs brillans et délicats auxquels nous osons à peine toucher de crainte de les ternir, vous retrouvez toujours René, l’homme des ombres, René avec cette tristesse endémique, «qu’il tenait de Dieu ou de sa mère. »

« Une admiration prétendue ne me dédommageait pas des dégoûts qui attendent un homme dont la foule a retenu le nom. Quel bien peut remplacer la paix que vous avez perdue en introduisant le public dans votre intimité ? Joignez à cela l’inquiétude dont les muses se plaisent à affliger ceux qui s’attachent à leur culte, les embarras d’un caractère facile, l’inaptitude à la fortune, la perte des loisirs, une humeur inégale, des affections plus vives, des tristesses sans raison, des joies sans cause : qui voudrait, s’il en était maître, acheter à de pareilles conditions les avantages incertains d’une réputation qu’on n’est pas sûr d’obtenir, qui vous sera contestée pendant votre vie, que la postérité ne confirmera pas, et à laquelle votre mort vous rendra à jamais étranger ? » Nous voilà presque retombés dans le triste adage de Voltaire :

Quand dans la tombe un pauvre homme est inclus,
Qu’importe un bruit, un nom qu’il n’entend plus ?


Que de fois, en écoutant la lecture des Mémoires, nous avons été tenté d’emprunter à l’auteur son beau langage, et de lui répéter, en le modifiant un peu, ce qu’il a dit lui-même un jour qu’il voyait la gloire sous un aspect plus encourageant et plus vrai : « Eh ! qu’importe la mort, si notre nom, prononcé dans la postérité, va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre vie ? »

Ainsi l’auteur d’Atala franchit en un jour la distance souvent si longue qui sépare l’obscurité de la gloire. Tous les salons de cette société renaissante se disputent sa présence. M. de Fontanes le conduit chez Mme Bacciochi, la sœur de Bonaparte, et chez Lucien. « On travaillait, dit-il, à ma radiation ; on me nommait tout haut, et je me nommais moi-même Chateaubriand, oubliant qu’il me fallait appeler Lassagne. » Bientôt M. Joubert l’introduit chez Mme de Beaumont, la fille de M. de Montmorin, autour de laquelle se réunissait au commencement du siècle tout ce qui restait du monde d’autrefois. « Pour faire de