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hommes. S’il esquisse une bataille, en même temps qu’il n’oublie rien de ce qui peut exprimer la séduction fiévreuse du combat, il n’oublie rien non plus de ce qui peut inspirer l’horreur philosophique de ces férocités guerrières. Voyez, par exemple, la fin de la bataille de Wagram. «Napoléon oppose sa volonté à la victoire hésitante ; il la ramène au feu comme César ramenait par la barbe au combat ses vétérans étonnés. Neuf cents bouches de bronze rugissent ; la plaine et les maisons sont en flammes ; de grands villages disparaissent : l’action dure deux heures. Dans une seule charge, Lauriston marche au trot à l’ennemi, à la tête de cent pièces de canon. Quatre jours après, on ramassait au milieu des blés des militaires qui achevaient de mourir aux rayons du soleil sur des épis piétines, couchés et collés par du sang. »

« Ces énormes batailles de Bonaparte, dit-il ailleurs, sont au-delà de la gloire ; l’œil ne peut embrasser ces champs de carnage, qui en défitive n’amènent aucun résultat proportionné à leurs calamités. L’Europe, à moins d’événemens imprévus, est pour long-temps dégoûtée de combats. Napoléon, en l’exagérant, a tué la guerre.... Si la vie militaire enseigne quelques vertus, elle en affaiblit plusieurs : le soldat trop humain ne pourrait accomplir son œuvre ; la vue du sang et des larmes, les souffrances, les cris de douleur, l’arrêtant à chaque pas, détruiraient en lui ce qui fait les Césars, race dont, après tout, on se passerait volontiers. »

Plus loin, à propos d’une ville prise d’assaut, inondée de sang, et rendue après la paix, il s’écrie : « Ridicules et inutiles meurtres de la guerre ! » Comparons cela aux réflexions inspirées à M. Thiers par la bataille d’Eylau. « Ainsi, dit l’historien, dans cette journée fatale, près de quarante mille hommes des deux côtés avaient été atteints par le feu et le fer. C’est la population d’une grande ville détruite en un jour ! Triste conséquence des passions des peuples ! passions terribles, qu’il faut s’appliquer à bien diriger, mais non pas chercher à éteindre ! » M. Thiers a raison aussi à son point de vue ; il y a certainement quelque chose de précieux dans ce qui apprend à mépriser la mort. Personne n’a mieux décrit que M. Thiers tout ce que le génie de la guerre enfante de combinaisons merveilleuses, tout ce qu’il remue dans les âmes de sentimens énergiques, et parfois de dévouemens sublimes. Nous nous rappelons une page de l’Histoire du Consulat et de l’Empire où, après avoir peint les réjouissances qui suivirent la bataille d’Austerlitz, l’auteur s’écrie : « Et de quoi serait-on joyeux, en effet, si on ne l’était de pareilles choses ! » C’est en effet une belle chose que la bataille d’Austerlitz, quoiqu’il y ait des choses plus belles encore ; mais n’est-il pas curieux de voir les idées guerrières qui firent la grandeur du passé s’incarner en quelque sorte dans un homme des races nouvelles, dans M. Thiers, tandis que c’est M. de Chateaubriand, le descendant des