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Ainsi pensait et parlait en 1816 M. de Chateaubriand, posant au début même du gouvernement constitutionnel tous les principes dont l’abandon devait faire tomber successivement deux monarchies. Qu’après cela il y eût dans le catéchisme politique de l’illustre publiciste des erreurs, des contradictions, de fâcheuses concessions aux idées contre-révolutionnaires, nous ne le contestons point ; mais ce qui est également incontestable, c’est que la donnée fondamentale du livre était d’une intelligence supérieure, qui ne se trompe point sur l’esprit de son siècle, et comprend que ni les baïonnettes, ni le droit divin, ni la corruption, ne suffisent aujourd’hui pour servir de base à un gouvernement.

On sait avec quelle ardeur les royalistes, tant qu’ils furent dans l’opposition, adoptèrent et proclamèrent les doctrines de leur chef ; on sait aussi avec quel empressement, une fois au pouvoir, ils déposèrent le masque libéral dont ils avaient paré leur polémique. Quant à M. de Chateaubriand, partout et toujours il maintint les maximes qui ont fait l’honneur de sa vie politique, partout et toujours il fut l’homme de la libre discussion, animé d’une confiance généreuse dans la puissance de la vérité par elle-même, dans la compétence de la raison publique et le progrès de l’esprit humain. Tout le monde a gardé souvenir de ses beaux combats, de ses magnifiques discours en faveur de la liberté de la presse. C’est cette constance dans la défense du droit de discussion qui inspirait à Carrel tant de sympathie et de respect pour M. de Chateaubriand, et lui faisait adresser, en 1834, à ce vétéran glorieux de la liberté, des paroles qui aujourd’hui encore, hélas ! n’ont rien perdu de leur actualité. « Ce que vous avez voulu depuis trente ans, monsieur, ce que je voudrais, s’il m’est permis de me nommer après vous, c’est assurer aux intérêts qui se partagent notre belle France une loi de combat plus humaine, plus civilisée, plus fraternelle, plus concluante que la guerre civile, et il n’y a que la discussion qui puisse détrôner la guerre civile. Quand donc réussirons-nous à mettre en présence les idées à la place des partis, et les intérêts légitimes et avouables à la place des déguisemens de l’égoïsme et de la cupidité ? Quand verrons-nous s’opérer par la-persuasion et par la parole ces inévitables transactions que le duel des partis et l’effusion du sang amènent aussi par épuisement, mais trop tard pour les morts des deux camps, et trop souvent pour les blessés et les survivans. »

On a vu dans le Congrès de Vérone, qui est un extrait des Mémoires, une portion de l’histoire de la restauration ; le reste est écrit dans la même forme, tour à tour familière et grave, mélangée de correspondances, de tableaux, de portraits et de récits. L’auteur nous fait souvent pénétrer dans les coulisses de ce grand théâtre du monde, et il nous montre en déshabillé tous les personnages plus ou moins célèbres qu’il a rencontrés sur son chemin à Paris, à Berlin, à Londres, à Rome, dans