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rattacher, par leurs députés, à la grande patrie, d’arborer son drapeau, de se souvenir qu’ils étaient 50,000 à Prague, et que, des Alpes à la mer du Nord, l’Allemagne entière les regardait. Toutes ces belles paroles n’aidaient pas à faire les élections, et c’était par là que, de Prague même, on mettait Francfort en échec.

Les Allemands de la Bohême, qui avaient encore à cœur de maintenir les droits de leur nationalité, se trouvaient de plus en plus embarrassés ; ce n’était pas que la race allemande ne fût en nombre suffisant pour se défendre : la Bohême renferme 1,830,000 Allemands contre 2,558,000 Tchèches ; les Allemands sont 726,000, en Moravie et en Silésie, contre 1,450,000 Slaves. La proportion n’était donc pas tout-à-fait accablante ; mais le cœur manquait à la grande majorité, en se voyant ainsi délaissée, soit par sa propre aristocratie, soit par le gouvernement de Vienne, sur lequel on avait, depuis si long-temps, la coutume de se reposer, et la violence des Tchèches croissait tous les jours, une vraie furie slave, qui entraînait les plus raisonnables à la suite des plus exaspérés. Prague était le chef-lieu de l’agitation qui, de là, rayonnait dans les villes de district et dans les campagnes, grâce aux émissaires. Point d’élections pour Francfort ! plus de communauté avec l’Allemagne ! vive l’Autriche et vive l’empereur ! Le cri de ralliement courait et se répétait partout. Cette agitation remplit presque uniquement le mois de mai.

A Prague, la rue fut souvent troublée par l’émeute, et la garde nationale, « la légion philosophique, » les seuls défenseurs de l’ordre, divisaient de plus en plus sur la question de savoir en quelle langue on devait commander ; les exaltés se permettaient tout. Le 10 mai, la arde nationale et le peuple sont invités, par convocations anonymes, s’assembler devant l’hôtel-de-ville : on veut délivrer un éditeur tchèche, arrêté pour un pamphlet incendiaire. Faster monte au tribunal, et dit que le peuple est là, que la troupe ne tiendra pas contre lui, qu’il entend avec la garde nationale, qu’il ne laissera pas pierre sur pierre, si le patriote n’est point élargi. Le tribunal cède, et la foule victorieuse emmène en triomphe le prisonnier dans un fiacre dont elle détèle les chevaux pour le traîner elle-même, cassant les vitres sur son chemin. Ce n’est point la vraie garde nationale qui a commis ces excès ; elle s’en indigne, les désavoue, les réprime ; les coupables sont dans la Swornost, que le comte Thun veut en vain dissoudre. La Swornost compte maintenant plus de 600 hommes à Prague, plus de 10,000 dans tout le pays. Le chiffre grossit tous les jours ; les étudians, déjà enrégimentés dans la Slavia sous le patronage de Schafarik, se mêlent aux artisans dans la Swornost. Bien mieux encore, voici la comédie : il se forme un escadron de 55 amazones slaves, qui vont aux parades en costume national : bonnet rouge, corset bleu, jupe de satin blanc, des pistolets à