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la ceinture. La mise en scène, comme on voit, dépassait la nôtre, la révolution de février n’ayant rien inventé de plus hardi dans ce genre-là que de modestes processions de jeunes filles à la grecque. Mais ce qui n’était pas de la comédie, c’était la protestation du comité national contre l’arrêté ministériel qui ordonnait les élections pour Francfort, la menace formulée de faire désavouer au prochain parlement de Bohême les députés qui iraient au parlement d’Allemagne et de rompre ainsi toute alliance avec les pays germaniques ; c’était la violence avec laquelle on répondait en séance publique du comité aux paroles imprudentes échappées de Francfort : « Ils se vantent là-bas, disait-on, de trancher l’affaire avec le tranchant de l’épée ; eh bien ! nous raisonnerons avec eux à coups de fléaux. » Sur quoi la galerie d’applaudir, bruyante comme un tonnerre, et le président fort empêché, car le président était le burgrave lui-même, de vider son fauteuil.

C’était aussi quelque chose de sérieux que cette censure brutale organisée dans l’ombre pour étouffer, par les coups ou par les charivaris, toute publicité favorable à l’opinion allemande. Les bureaux des journaux allemands étaient à tout moment envahis par des visiteurs injurieux, elle gouvernement avait beau ordonner les élections à plusieurs reprises, on déchirait ou l’on contremandait ses affiches. Cette force occulte paraissait obéir à Faster. En même temps, les journaux tchèches rivalisaient d’audace agressive : ils annonçaient ouvertement une révolte, si les élections aboutissaient ; ils voulaient même qu’on empêchât les députés des cercles allemands de se rendre à Francfort. Ils prêchaient l’alliance russe, les Russes, disaient-ils, leur étant plus proches, l’empereur Nicolas excepté, que ne le seraient jamais les Allemands. — « Attention, criait l’un ; notre ministère de Vienne est dans de mauvais draps. A Vienne règne le parti qui voudrait nous plier au joug de Francfort, notre empereur et nous, nous faire payer l’impôt allemand par-dessus le nôtre, nous prendre nos jeunes gens pour les employer à une guerre allemande contre la France ou contre Dieu sait qui. C’est ce parti-là qui force le ministère à ordonner les élections contre le bien de la patrie et du roi. Le comité national conseille et Dieu même commande de s’abstenir à tout Tchèche honnête homme. » — « Voilà deux cents ans, racontait un autre, depuis la bataille de la Montagne-Blanche, que le Tchèche est tombé aux mains de l’étranger. L’étranger lui a pris ses anciennes franchises ; il fa garrotté, il l’a traité comme un chien. Depuis ce temps-là, le Tchèche ne se fie plus à l’étranger ; mais, l’empereur Ferdinand lui ayant rendu ses franchises, il tient à lui comme un chien fidèle, et ne le lâchera pas. Ceux de Francfort lui tendent un beau morceau de rôt, comme des voleurs de nuit qui veulent faire un mauvais coup ; lui, qui n’est pas matin à moitié, ne mord pas, parce qu’il voit la boulette sous le rôt, et qu’il a peur