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Prague ; ils auront à discuter les mesures que nécessite le bien commun de la nation et l’urgence des temps. Si les Slaves étrangers à l’empire veulent se joindre à nous, ils seront cordialement accueillis comme nos hôtes. — Prague, le 1er mai 1848. »


Les signataires de cette adresse étaient, entre autres, le comte Joseph Mathias de Thun, cousin du burgrave, Schafarik et Palazky, le prince George Lubomirski, etc. Le comte de Thun devait avoir la part principale dans toute l’affaire : Allemand de naissance, parlant à peine le slave, mais possédant la meilleure partie de ses domaines dans les districts tchèches, il s’était lui-même résolument transformé en Tchèche, et rêvait un peu le rôle d’O’Connell. Il avait d’abord aspiré à la présidence du gouvernement de Bohême ; frustré dans ses prétentions constitutionnelles, il ne reculait devant aucun espoir, et le comité national où il dominait, le congrès slave qu’il voulait diriger, étaient les instrumens de son ambition au moins autant que les soutiens de son patriotisme.

Ainsi convoqués, les députés slaves arrivèrent à Prague dans les derniers jours de mai. Prague venait d’éprouver le contre-coup de la sédition qui avait éclaté le 26 à Vienne. Vienne restait depuis lors sous la domination absolue des étudians, et le ministère y subissait la tutelle d’un comité de sûreté générale : l’occasion était meilleure encore qu’au 15 mai pour complaire aux tendances séparatistes de la Bohême. Le burgrave Léon Thun, sous prétexte de la difficulté qui entravait ses rapports avec un ministère qu’il considérait comme captif, érigea auprès de lui un conseil de régence responsable, un véritable gouvernement provisoire en correspondance directe avec l’empereur. Sur treize membres, ce gouvernement ne comptait que deux Allemands. Le faible ministère que l’émeute avait bien voulu laisser à l’Autriche protesta contre cette émancipation, et jeta l’interdit sur le cabinet rival qui se formait ainsi en dehors de lui dans une terre d’empire ; mais le burgrave répondit bravement qu’il en avait référé à l’empereur, qu’il prenait toute responsabilité sur lui, que son gouvernement fonctionnerait sur l’heure, «si les événemens anti-constitutionnels de Vienne l’empêchaient encore d’administrer selon les formes de la légalité ordinaire. » Le mal était que gouvernement provisoire et comité national, tout ce qui ressemblait à une institution dans cette rapide refonte de la vieille Bohême dépendait en somme d’institutions encore plus irrégulières, de clubs démagogiques, d’associations d’ouvriers qui précipitaient les choses à l’extrême et devenaient chaque jour plus menaçantes.

L’Allemagne apprit à la fois, non sans une irritation profonde, l’établissement d’un gouvernement provisoire à Prague et l’ouverture du congrès slave. Prague eut alors tout d’un coup l’aspect le plus étrange.