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dans les habitations dont l’atelier voudra donner au propriétaire une somme de travail équivalente à leur entretien, à leur nourriture et à leur logement. Pour les orphelins abandonnés, ils seront placés dans des fermes agricoles ou reçus dans des crèches ou des salles d’asile ouvertes dans tous les villages où l’autorité les jugera utiles.

La première de ces dispositions a été dictée par un optimisme que les faits démentent. On a compté sur le maintien des ateliers et sur la générosité des nouveaux affranchis, qui consentiraient à travailler, non-seulement pour eux, mais encore pour ceux de leurs frères que l’âge ou les infirmités privaient des moyens de gagner leur subsistance. Cette solidarité chrétienne, rare même dans une société avancée, comment raisonnablement a-t-on pu supposer qu’on la trouverait dans une population encore engourdie moralement par les fers de la servitude ? La seconde disposition relative aux enfans est d’une réalisation plus pratique, mais elle exige de fortes dépenses, car il faut créer en grand nombre, pour pourvoir à tous les besoins, des crèches et des salles d’asile. Cependant, pour la formation de ces institutions, le décret n’alloue aucun crédit ; il se borne à y affecter le produit des amendes prononcées par les jurys cantonaux. Il est donc fort à craindre que pour cette partie de la population noire, les vieillards et les enfans, on n’ait inscrit dans la loi des intentions bienveillantes, mais qui malheureusement n’auront pour elle aucune efficacité. C’est une masse d’individus que recruteront le vagabondage et la mendicité.

Pour l’instruction publique, un décret a été rendu, qui assure gratuitement l’enseignement élémentaire aux jeunes noirs des deux sexes, et le rend obligatoire par une pénalité qui atteint le père, la mère ou le tuteur[1]. Nous n’avons qu’à y applaudir. On ne saurait trop faire pour disposer les nouvelles générations, par une saine éducation, à apprécier les droits et les devoirs de l’homme libre ; toutefois cette mission importante doit être mise en bonnes mains. L’acte que nous avons sous les yeux n’indique pas les personnes qui en seront chargées. L’institut de Ploërmel et les frères de la doctrine chrétienne ont déjà rendu des services précieux à l’enseignement élémentaire dans les colonies. Ils ont la patience et le dévouement que la religion seule peut donner dans une œuvre hérissée de difficultés. Il suffirait d’augmenter considérablement leur nombre, et, si leur collège ne peut pas fournir assez de sujets, il faudrait leur chercher des auxiliaires dans quelque autre congrégation. Il importe autant que possible de ne point séparer l’enseignement religieux de l’enseignement élémentaire. Le noir est très impressionnable ; en touchant son cœur au nom de Dieu, on est sûr d’exercer de l’autorité sur lui et de faire accepter à son intelligence les enseignemens les plus essentiels. Ce décret est également dépourvu de

  1. Décret concernant l’instruction publique aux colonies, 4 mai 1848.