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La France n’a pas la prétention d’être la première puissance navale ; mais elle est appelée, par ses traditions, par sa position vis-à-vis des nations qui naviguent, à leur servir de point de ralliement, lorsque l’indépendance des mers sera mise en péril. Baignée par l’Océan et la Méditerranée, qui la sollicitent incessamment de porter au loin les germes de sa civilisation, elle manquerait à sa destinée aussi bien qu’à ses devoirs politiques, si elle renonçait à ses colonies, car elles sont la condition essentielle de son influence maritime. Des établissemens coloniaux bien situés lui rendent un double service : en temps de paix, c’est pour elle l’occasion d’un mouvement commercial immense qui assure un débouché à ses manufactures et entretient en activité une population de marins dont ses flottes se recrutent ; en temps de guerre, ce sont des points fortifiés où les vaisseaux français peuvent trouver un refuge contre la tempête et un appui contre des forces supérieures. Loin d’abandonner les positions que nous occupons déjà ou de les laisser déchoir de leur importance, nous devons regretter de n’avoir pas, sur toutes les voies les plus fréquentées, des postes comme Fort-Royal, Gorée et Mayotte. Un système bien échelonné d’établissemens coloniaux ou maritimes doublerait notre force sur les mers, nous permettrait, en temps de paix, de réduire nos stations et nos croisières, et, en cas de guerre, nous donnerait les moyens d’assaillir noire ennemi sur tous les points du globe et d’intercepter son commerce. Nous admettons par conséquent qu’il n’est pas dans l’intention du gouvernement d’abandonner nos colonies à la ruine qui les menace. Il lui reste alors de grands devoirs à remplir pour porter remède à la situation qui leur est faite. Examinons quelques-unes des mesures qui pourraient avoir cet effet.

La première de toutes, celle que réclame l’humanité aussi bien que l’ordre public, c’est l’organisation sur une vaste échelle de l’enseignement religieux et élémentaire. Ce qu’on n’a pas fait avant l’émancipation, il faut le faire aujourd’hui. Il n’est pas permis, quand il s’agit de la moralisation de toute une classe d’individus, qu’on appelle subitement et sans préparation suffisante à la jouissance de tous les droits civiques, de s’en tenir à quelques vues vagues et incertaines. On a décrété que chaque commune aurait son école, c’est bien comme expression d’une volonté éclairée, mais ce n’est pas assez : il faut au plus tôt lui donner cette école. Les obstacles sont nombreux et pourront retarder long-temps la réalisation de cette promesse, à moins que la résolution de les vaincre ne soit très énergique. Nous avons déjà fait observer que, pour que l’enseignement produise une salutaire influence sur les nouveaux affranchis, il importait qu’il leur fût distribué par des hommes revêtus d’un caractère religieux. Les deux congrégations qui jusqu’à présent ont été chargées de ce soin, si elles n’ont pas d’auxiliaires, demanderont plus d’un an, peut-être deux ans, avant de pouvoir doubler leur personnel actuel. Certainement, il est fâcheux de mettre