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Ulysse, après avoir visité toute la Grèce antique. Si l’obélisque, que tu verras du reste à Paris, t’intéresse, je le dirai qu’il va à merveille, et que si tous ses antiques magots hiéroglyphiques n’ont pas plus le mal de mer dans la traversée qui va les conduire au Havre qu’ils ne l’ont eu jusqu’ici, il n’y aura pas trop d’avaries pour qu’ils puissent montrer leurs grotesques faces de granit sur une de nos places de Paris.

« Cependant le voyage m’a amusé, en ce sens que j’ai vu Rhodes et ses souvenirs de chevalerie, ses écussons des anciens chevaliers, sa tour attaquée avec tant d’ardeur, défendue avec tant de courage ; Marmariza et ses montagnes incultes, couvertes de pins, de myrtes et de toutes ces plantes du climat de Grèce qui répandent dans l’air un parfum à elle, et lui donnent un aspect si brillant, quoique si triste ! Et Milo, décoré de la mémoire du plus bel âge des arts ; Navarin, je le connaissais déjà ; enfin Zante et Corfou, îles doublement charmantes dans le passé et dans le présent, les premières que je voyais qui me rappelassent un peu l’Europe et présentant des restes de la puissance commerçante de Venise. Ma qualité d’artiste m’a fait recevoir du lord haut commissaire, gouverneur de l’île, ainsi que de lady N, sa femme, qui, artiste qu’elle est, aime les arts, comme toutes les sommités de l’aristocratie (lord N… est le frère du duc de Buckingham). Je suis allé au bal deux fois. Je te reparlerai de tout cela à loisir. Le papier finit. Adieu, Salam-Alek. »

L’Égyptien Prosper Marilhat.


Là se termine l’odyssée de notre voyageur, et ici nous allons placer quelques détails épars dans sa correspondance.

A son retour au Caire, il lui arriva un malheur très sensible pour un peintre ; sa boîte à couleurs, embarquée séparément avec d’autres bagages à Beyrouth, fut promenée on ne sait où par un patron maltais qu’égarait la peur du choléra. Heureusement, il se trouva là un amateur qui, touché du désespoir du jeune peintre, lui céda une boîte assez bien garnie qu’il avait. O béni sois-tu, digne amateur qui, sous la forme d’une douzaine de vessies, représentas la Providence auprès de Marilhat et fus la cause indirecte de beaucoup de chefs-d œuvre.

Notre artiste, à qui M. Hugel avait proposé de faire le voyage des Indes-Orientales, et qui n’avait pas accepté, passa quelques mois tout seul, tantôt à Alexandrie, tantôt à Kanka, à Rosette et au Caire, où étaient restés le docteur et le naturaliste prussien, qui, tous deux, avaient trouvé à se placer avantageusement au service du pacha, dont il fit le portrait, non sans peine, car « ce diable d’homme » voulait être peint sans poser, prétention assez gênante pour la ressemblance, qui fut pourtant réussie. Il eût bien voulu en faire une copie, mais il lui fallut se contenter d’un croquis fait à la hâte et eu cachette. Pendant