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voulons parler de l’immigration. M. Schœlcher, dans un rapport supplémentaire qu’il a adressé au ministre de la marine, l’indique en termes très vagues. Il ne propose aucun mode d’exécution, et se borne à dire qu’on peut, si on croit devoir y recourir, en tirer quelque avantage. Quant à nous, nous sommes plus affirmatif ; nous sommes convaincu que, si on n’introduit pas de nouveaux travailleurs dans nos colonies, l’agriculture ne s’y relèvera pas du coup qu’elle vient de recevoir.

Ainsi que nous l’avons fait observer, aucune précaution n’a été prise pour retenir les noirs dans les ateliers. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’ils se conduisent chez nous autrement qu’ils l’ont fait dans les colonies anglaises. Ils ne vaincront leur paresse naturelle ou leur répugnance pour le travail de la terre qu’en imposant à leurs anciens maîtres les plus dures conditions ; ils demanderont des prix excessifs pour leur rémunération. N’a-t-on pas vu les nouveaux affranchis à Antigoa, à la Trinité, à la Jamaïque, exiger, soit en nature, soit en argent, des salaires tels, qu’ils élevaient le prix de la journée, pour le propriétaire, de 4 à 5 francs ? A la Guyane anglaise, selon le rapport du capitaine de vaisseau Layde, on a payé la première tâche, après l’émancipation, à raison d’un shelling 5 deniers sterling (environ 30 sous) ; les suivantes, à raison de 2 shellings 2 deniers (environ 55 sous), et un homme laborieux arrivait à gagner dans sa journée jusqu’à 7 shellings (8 à 9 francs). Eh bien ! malgré ces énormes sacrifices, les colons anglais ont manqué de bras. Ne doutons pas que le même fait ne se produise dans nos colonies.

Le gouvernement britannique n’avait pas étudié ce côté de la question, lorsqu’il s’est décidé à proclamer l’affranchissement. Il n’a été éclairé que par l’événement : que son expérience nous serve, et marchons hardiment dans la voie où il n’est entré qu’en tâtonnant. Nous ne devons pas laisser le travailleur rançonner arbitrairement le propriétaire, et absorber en salaires les profits légitimes que celui-ci peut retirer de son domaine. Le seul moyen de maintenir l’égalité entre eux, c’est de faire qu’il y ait concurrence de main-d’œuvre, comme il y a concurrence dans la vente des produits. Il faut, autant que possible, chercher à établir un niveau entre l’offre du travail et le besoin des planteurs. On y réussira si l’on fait arriver dans nos établissemens un assez grand nombre d’ouvriers étrangers, pour que le travail soit maintenu à un prix modéré. Il faut être prêt, sous ce rapport, à venir en aide aux planteurs.

La question de l’immigration est depuis long-temps à l’étude dans le ministère de la marine. Les essais faits par le gouvernement anglais, les explorations de nos officiers de marine, les travaux de nos administrations coloniales, fournissent des élémens complets de solution. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane peuvent aisément trouver de