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tout ce temps, Marilhat fit des portraits pour vivre et des études pour apprendre. Ses portraits lui étaient payés 300 francs, et ce chiffre flattait son amour-propre. — Il peignit aussi deux décorations pour un théâtre bourgeois d’Alexandrie, où il y avait « des actrices bien jolies. »

Il resta là tout l’hiver, n’osant pas revenir en France, de peur de geler, car, dit-il, « depuis mon séjour en Orient, je suis devenu si frileux, que, même ici, je souffre beaucoup du froid de l’hiver, si doux cependant. Que serait-ce donc, si j’arrivais en France dans celle saison ? » Nous aussi, nous avons éprouvé ce frisson en revenant de Constantine, au mois d’août, après un long bain de soleil à quarante-huit degrés. Une houppelande doublée de peau d’ours dans laquelle nous nous étions enveloppé ne nous empêchait pas de claquer des dents sur le quai de Marseille, et nous ne sommes pas encore réchauffé !

Les fragmens que nous avons cités donnent une idée assez complète de l’itinéraire suivi par Marilhat à l’exception de son voyage dans la haute Égypte qu’il annonce plusieurs fois, et dont sa correspondance ne contient pas de description, bien que sa Vue des ruines de Thèbes et d’autres dessins montrent que le voyage a été accompli. Mais peut-être que les lettres confiées aux mains peu sûres des fellahs se seront égarées, ou Marilhat, énervé par « ce mou climat de l’Orient, » n’aura pas écrit.

Ce que nous avons détaché de cette correspondance écrite au vol de la plume à de proches parens, sans le moindre soupçon de publicité, fait voir, à travers sa négligence, que Marilhat eût pu acquérir comme écrivain le nom qu’il a conquis comme peintre ; son style est net, coloré, rapide ; ses descriptions, aidées par l’œil exercé de l’artiste, ont une précision caractéristique des plus rares ; chaque objet est attaqué par son angle saillant, chaque touche posée à sa place et du premier coup. il a dans son style une grande puissance de réalisation plastique. Pour bien écrire un voyage, il faut un littérateur avec des qualités de peintre ou un peintre avec un sentiment littéraire, et Marilhat remplit parfaitement ces conditions ; c’était du reste un esprit vif, clair, plein d’activité et de feu, légèrement ironique et se plaisant aux lectures choisies : Montaigne, Cervantes et Rabelais étaient ses auteurs de prédilection ; il aimait à parler et parlait bien. Ses conversations roulaient en général sur des théories d’art tantôt paradoxales, tantôt profondément sensées, suivant son humeur, qu’il développait avec beaucoup de verve et d’éloquence : l’art fut l’idole de sa vie et la consuma tout entière.

Dans le post-scriptum de plusieurs de ses lettres, il parle avec une sollicitude inquiète du sort de son tableau envoyé au Salon avant son départ, et demande l’avis de Cicéri et de Camille Roqueplan, et plus tard, lorsqu’on lui marque que quelques-unes de ses études apportées