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Les événemens à travers lesquels l’Italie a marché de progrès en progrès, de victoire en victoire d’abord, et de défaite en défaite, d’humiliation en humiliation ensuite, sont enveloppés d’un si grand mystère, les causes et les conséquences en sont si mal appréciées, l’ordre en est si bizarre, les circonstances en sont si étranges, qu’il est presque impossible de s’en former aujourd’hui une idée exacte, comme aussi d’en porter un jugement équitable. C’est pourquoi je vais essayer de raconter simplement les faits dont j’ai été le témoin, tout en laissant à d’autres le soin d’expliquer ceux dont je ne saurais rendre raison avec quelque vraisemblance.

Il est une question à laquelle il importe de répondre avant tout. — Comment se fait-il que l’histoire d’Italie soit encore un mystère au siècle où nous vivons et dans la partie du monde que nous habitons ? — La publicité n’a-t-elle pas tout envahi en Europe ? Y a-t-il encore des causes secrètes, et les motifs des actions de tous peuvent-ils demeurer cachés ? L’histoire d’Italie manque d’unité, parce que l’Italie elle-même en a toujours manqué. Ce n’est pas là une seule histoire dont toutes les parties, groupées autour d’un sujet principal, marchent à un même dénoûment. Ce sont plusieurs histoires distinctes et pourtant se touchant et se tenant les unes les autres de si près, qu’aucune ne peut subsister indépendamment de ses compagnes. L’histoire est toujours plus ou moins soumise aux lois qui régissent les poèmes dramatiques. Or, le moyen de rendre clair et attachant un drame dans lequel ne se trouve aucune des trois unités ! Là ne gît pourtant pas toute la difficulté, ou, pour mieux dire, cette première difficulté en engendre d’autres. Les Italiens sont de tous les peuples d’Europe celui dont le génie subtil a donné naissance aux politiques et aux hommes d’état les plus artificieux. Toutes les villes de l’Italie n’ont pas lutté entre elles de force et de pouvoir seulement ; elles ont lutté d’habileté, de ruse, et quelquefois de fraude. Figurez-vous Machiavel d’un côté, les Borgia de l’autre, — Galéas Visconti ou Ludovic le More aux prises avec les princes de la maison de Savoie, avec André Doria ou avec les grands hommes de la république de Venise, — les Bentivoglio avec les Ezelins, les Montefeltre ou les La Rovère, — et voyez si vous pouvez vous flatter de connaître les événemens dans lesquels ces hommes ont joué le principal rôle, et qu’ils ont par conséquent intérêt à présenter sous un faux jour. Qu’un homme puissant et adroit soit pour quelque chose dans une affaire, et personne ne pourra s’en former une idée précise. Que sera-ce donc si le pape, tous les princes de la chrétienté et les plus rusés politiques du monde y sont intéressés, et chacun d’une manière différente ? Pour prouver la vérité de mon assertion, je voudrais que l’on me permît de dresser une liste de tous les princes qui eurent quelque chose à démêler avec la cour de Rome, et l’on verrait que l’histoire les érige en