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hommes d’état ne peuvent pas tout savoir. Leur mérite spécial est de daigner écouter, de comprendre, d’oser, d’agir. Pitt eut ce mérite au plus haut degré. La possibilité d’accroître le bien-être des populations, en augmentant la richesse du sol, était un thème que les économistes français avaient mis à l’ordre du jour parmi les savans de l’Europe. Pitt comprit et mit la main à l’œuvre.

Même en agriculture, l’Angleterre et la France obéissaient à des instincts opposés. La tendance de l’esprit français était de vivifier la terre par son morcellement et par une extension aussi large que possible du droit de propriété. La démocratie, sans s’en douter, prenait des paysans pour en faire de petits seigneurs. Le ministre anglais, au contraire, favorisa l’agglomération des domaines et l’agrandissement des héritages, mais à condition de transformer de vrais seigneurs féodaux en fabricateurs de produits agricoles. Au commencement du XVIIIe siècle, les deux tiers du sol britannique étaient en friche. Les paysans obtenaient facilement de la tolérance des seigneurs la permission de mettre en culture un petit coin de terre sur les lisières improductives du fief. Ainsi, sans fausser la loi féodale, s’était développée une classe intermédiaire de modestes cultivateurs dont la poésie anglaise a célébré les mœurs naïves et pittoresques. Cette classe devait disparaître peu à peu, délogée, étouffée par les envahissemens de la spéculation agricole qu’elle ne pouvait suivre.

La réforme s’opéra sans secousses violentes, tant que les propriétaires agirent avec leurs propres ressources : mais l’œil pénétrant de Pitt découvrit dans le nouveau système une manœuvre politique et une arme de guerre. Il comprit qu’en surexcitant la fécondité du sol, il en tirerait assez de trésors pour payer les frais de la lutte, et qu’ainsi la richesse territoriale de l’aristocratie deviendrait le gage de la puissance nationale. Voilà donc le ministre à l’œuvre avec l’ardeur fiévreuse de son génie. La terre est une mauvaise débitrice ; elle paie difficilement et à très long terme le loyer de l’argent qu’on lui confie : Pitt met au service de la terre toutes les ressources du crédit. Il restreint à un rayon de douze lieues autour de Londres le privilège exclusif qu’avait la banque d’Angleterre d’émettre des billets exempts du droit de timbre ; il transfère ce même avantage aux établissemens privés des provinces. En peu de temps surgissent environ 700 banques appropriées aux divers besoins de la spéculation, surtout à ceux de l’industrie agricole. Les propriétaires, qui se concertent pour l’émission des papiers de crédit, s’adjugent ainsi, à raison de 3 pour 100, tout l’argent dont ils ont besoin. La plaie ordinaire du cultivateur, l’insuffisance du capital, n’est pas plus un obstacle pour celui qui exploite que pour celui qui possède.

Cette circulation artificielle pourrait être un danger, si l’on ne se hâtait de transformer des valeurs fictives en richesses réelles. Les