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successivement la superficie ensemencée, de manière à obtenir sans travail et sans soins une quantité de grains à peu près égale. Si petit que soit le champ qu’il se réserve, il en tire plus de profit en y consacrant tous ses efforts et en y répandant la plus grande partie des fumiers qui auraient dû vivifier tout le domaine. On attribue à ces ruses coupables la ruine de la Sologne ; l’infériorité agricole de nos provinces méridionales tient évidemment au métayage, quoique les mauvais effets de ce régime y soient atténués aujourd’hui par beaucoup de propriétaires instruits et vigilans.

Il y a enfin, pour le malheur de la France, une race de cultivateurs qui ont le fatal secret de produire sans posséder d’argent, de fabriquer des alimens sans en vendre aux autres et sans se suffire à eux-mêmes. Le capital est remplacé chez eux par un labeur qui les épuise ; n’ayant rien à offrir au commerce, ils n’ont rien à lui demander. Obligés le plus souvent de travailler pour le compte d’autrui, soit comme métayers, soit comme journaliers, dans les fermes ou dans les ateliers des villes et des bourgs, ils subordonnent leurs propres cultures aux intérêts de ceux qui leur procurent un salaire. Ils ont pour attelage, et pas toujours, une vache maladive, nourrie sur le commun, peu ou point d’outils. Quand la charrue ne peut être remplacée par la bêche, ils font labourer à la journée par des étrangers, ou ils emploient des bêtes de louage, de sorte qu’à défaut de l’engrais qu’ils ne produisent point, leur champ reste d’une maigreur déplorable. Recommander à ces tristes cultivateurs les amendemens qui corrigent le sol, les rotations qui l’enrichissent, ce serait presque une ironie. Enfouir de l’argent dans la terre, quand les 10 francs à solder au percepteur, quand les dégâts à réparer après un orage, quand la blouse et les sabots à remplacer, la pièce de lard à acheter pour le pot-au-feu des grands jours, sont déjà de grosses affaires ! Il s’agit bien d’améliorations ! Le point essentiel, c’est de ne pas mourir de faim ; pour cela, il faut s’assurer avant tout un sac de seigle et un tas de pommes de terre. Attribuer aux propriétés de cette nature une valeur productive de 150 francs par hectares, en alimens absorbés par ceux qui les récoltent, c’est peut-être exagérer les résultats. Un tel régime est bien près de la sauvagerie. Hélas ! il est celui du tiers des Français, et il s’étend comme une lèpre rongeuse sur la cinquième partie du territoire national.

A part les inconvéniens particuliers à chacun des modes d’exploitation usités en France, il y a un vice qui est commun à tous, et qui les aggrave d’une manière irrémédiable : c’est l’insuffisance du capital. Plus une industrie se perfectionne et plus son capital d’exploitation doit s’élever : l’agriculture n’échappe pas à cette loi. En Angleterre, on exige actuellement des fermiers deux fois plus d’argent disponible qu’il y a un demi-siècle. Le fonds de roulement doit être constitué au