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Ne craignons donc pas de mettre au jour ce que les documens officiels nous apprennent sur l’état général des consommations.

La Statistique agricole préparée par M. Moreau de Jonnès, et publiée en 184-0 sous la responsabilité du ministre spécial, est la base principale des calculs sur les ressources alimentaires créées par notre agriculture. L’auteur de la Statistique agricole ayant mis à jour des vérités fort tristes, des doutes ont été élevés sur l’exactitude de ce document par ces personnes qui croient que, pour conserver l’ordre social, il suffit de masquer les côtés faibles de la société. L’erreur s’est glissée probablement dans l’immensité des détails, et d’ailleurs une précision rigoureuse n’est pas exigible dans un tableau qui ne représente que les résultats d’une année moyenne, prise pour type. Néanmoins, je tiens comme suffisamment probables les données générales. « Une garantie inattendue d’exactitude, a dit le ministre dans son préambule, c’est que les chiffres de la consommation sont en rapport avec ceux de la production, quoiqu’ils aient, les uns et les autres, une origine différente, et qu’ils résultent d’immenses calculs, faits séparément, sans aucune prévision de leurs résultats. » Une autre preuve est fournie par le rapport des engrais aux céréales. Divers calculs agronomiques, qui trouveront leur place plus loin, établiront entre les faits de l’enquête une concordance qui ne peut pas être l’effet du hasard.

Si l’accroissement des moyens de subsistance a suivi depuis un demi-siècle le progrès de la population, c’est par des sacrifices qui épuisent le domaine national et compromettent l’avenir. Le perfectionnement le plus réel est celui de la mouture, qui a augmenté d’environ 3 à 4 ; pour 100 le rendement des farines. Dans l’ordre agronomique, on a

atteint le but par une voie détournée et dangereuse, précisément opposée à celle que traçait la prudence. Le moyen normal eût été de multiplier les pâturages pour créer plus d’engrais, et de reboiser les terres arides pour discipliner les eaux. De cette manière, l’augmentation des produits eût été le résultat de l’enrichissement du sol. C’est au contraire à force d’appauvrir le sol qu’on a conservé l’équilibre entre les subsistances et la population. On a élargi successivement la surface destinée aux céréales. Les récoltes supplémentaires, obtenues à force de déboisemens, de desséchemens, de défrichemens, sont achetées par un surcroît de main-d’œuvre qui absorbe une partie des forces nationales. L’insuffisance des alimens de choix en élève le prix à un taux que les pauvres ne peuvent plus atteindre. L’usage de la viande tend à devenir un privilège. On laisse affaiblir la population laborieuse des campagnes en l’accoutumant à une nourriture grossière qui, dans une agriculture florissante, ne devrait servir qu’à l’engraissement du bétail. Qu’on y prenne garde ! c’est ainsi que les races humaines s’altèrent et que les nations s’amoindrissent.