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commun distingue la correspondance de Robert : écrite plutôt avec le cœur qu’avec l’esprit, elle est remplie de sentimens tendres ; élevés, religieux ; elle est le vrai miroir de son âme.

Un naturel méditatif, des études fortes et austères, un travail patient, avaient, de longue date, donné à son esprit cette gravité qui fait la dignité de l’intelligence. Formé, comme Le Sueur, à la sévère école du christianisme, comme lui tendre, comme lui empreint de cette chasteté de goût qui tient toujours à celle de l’âme, nul n’était plus pur, plus naïf, plus inoffensif, nul plus exempt de jalousie et d’ambition, nul plus rempli de cette modération du sage, qui, sans jamais transiger avec l’autorité de la conscience, incline à l’indulgence envers les personnes. Tel il est dans les lettres inédites où nous allons suivre ses débuts difficiles, ses succès, ses jugemens sur l’art ancien et moderne, ses amitiés, ses douleurs, qui préparèrent sa fin tragique, dont on a jusqu’ici plutôt pressenti et deviné qu’analysé les véritables causes. Semblable, par un côté, à Raphaël, à Le Sueur, à Pascal, à Mozart, Léopold fut un de ces hommes qui portent au front le signe fatal d’une fin prématurée. Dieu, en versant dans leur âme le feu céleste, leur donne assez de jours pour mériter la gloire, trop peu pour en jouir. On pourra différer d’avis sur l’excellence des œuvres de Robert, on ne pourra se défendre d’aimer et de plaindre sa personne.


I.

Louis-Léopold Robert naquit, le 13 mai 1794, dans le canton de Neufchâtel en Suisse, au district de la Chaux-de-Fonds, où, sous un ciel brumeux, sur un sol âpre et sauvage, blanchi de neige les deux tiers de l’année, fleurit une de ces colonies d’horlogers dont l’ancienne Suisse française est couverte. A l’époque où Léopold Robert vit le jour, la Chaux-de-Fonds n’était qu’une triste bourgade sans importance. Elle a bien changé de son vivant, et l’on dirait que, sous ce ciel ingrat, l’activité manufacturière a dompté la nature, et que le génie de la liberté et de l’industrie a communiqué sa puissance à la terre et ses feux au soleil. La Chaux-de-Fonds et le Locle, village voisin et rival d’industrie[1], ont produit, de nos jours, plusieurs artistes connus, tels que les frères Girardet, graveurs sur bois et en taille-douce ; Brandt, premier grand-prix de gravure en France, et premier graveur de la Monnaie de Berlin ; enfin, un de nos plus habiles graveurs en taille-douce, Charles Forster, aujourd’hui naturalisé Français et membre de

  1. La Chaux-de-Fonds est bâtie sur un des plateaux du versant oriental des montagnes du Jura. Neufchâtel est au bas du versant, et, à une certaine époque de l’année, on ne peut faire qu’en traîneau une partie du chemin qui descend vers la ville. Le Locle est dans la vallée de Fleurier, du côté de France, à trois quarts d’heure de notre frontière.