Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concours, » C’est en vain que le peintre Gérard, qui, par pur amour de l’art, s’intéressait à Léopold presque sans le connaître, et qui voulait à tout prix le rattacher à la France, fit de pressantes démarches auprès de M. Lainé, ministre de l’intérieur : l’exclusion de Robert fut maintenue, et le jeune artiste perdit ainsi le fruit de plusieurs années d’efforts.,


II.

Déconcerté dans cette voie où il ne tenait que par le courage, Léopold posa le burin et se livra à la peinture ; mais les réactions de 1816 le poursuivirent jusque dans la personne de son maître. Celui-ci ayant été condamné à l’exil, son atelier se ferma, et le pauvre élève, frappé encore de ce côté, ne demeura que peu de temps dans l’atelier de Gros, qui avait rouvert et continué celui de David. Il prit le parti de retourner dans son pays pour se retremper dans sa famille. Là, il fit ressource de sa palette, et, durant dix-huit mois, il peignit à l’huile un assez grand nombre de portraits empreints de cette vigueur et de cette vérité de nature qui constituèrent plus tard le caractère de son talent. Parmi ces ouvrages, il faut compter son propre portrait, qui est à Neufchâtel[1].

Les artistes et les amateurs de cette ville applaudirent à ces premiers essais de Robert et regrettèrent qu’il se bornât au genre du portrait. L’un des plus distingués parmi ces amateurs, M. Roullet de Mézerac, arrivant d’une longue excursion en Italie et ne voyant pour former un artiste que la ville de Rome, le pressa vivement de s’y rendre, lui montrant en perspective l’aisance et la gloire ; mais, pour entretenir Léopold pendant six années à Paris, sa famille avait déjà fait des dépenses au-dessus de ses moyens. Et cependant, père, mère, frères et sœurs, tous, comme si ce poids eût été trop léger pour leur tendresse, l’avaient accueilli, au retour, avec la plus vive effusion. Léopold en avait été profondément ému, et, ainsi qu’il le dit dans une de ses lettres, il eût préféré redevenir paysan plutôt que d’abuser de nouveau d’une famille si tendre à bout de sacrifices. Comment réaliser ce saint pèlerinage de l’Italie, son rêve le plus ardent ? Repoussé du côté de la France, il espéra un instant de l’intervention de MM. de Humboldt que le nouveau gouvernement imposé à sa patrie lui en fournirait les moyens, et il s’étaya, pour l’obtenir, du crédit de Gérard. Dès cette époque, il était porté à la mélancolie, et ses regrets s’exhalaient sans cesse.

  1. Le musée d’Avignon conserve l’une des premières peintures de Léopold, exécutée à Paris pendant qu’il était encore dans l’atelier de David. C’est le portrait en petit de l’un de ses camarades d’atelier, pieuse relique à laquelle sa réputation n’a rien à gagner. Ce portrait a été donné au musée avec diverses autres productions de Robert par M. Imer, son compatriote, l’un de ses amis les plus chers, son camarade d’étude chez David, et qui vit aujourd’hui dans la retraite à Avignon.