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couronnée de la plus magnifique chevelure, forte, fière, sans peur, l’œil et le geste du commandement, quelque chose de la Liberté du dithyrambe de Barbier. Teresina, qui était, comme sa sœur, dans le suprême éclat de sa beauté, et qui devint la favorite de Robert, avait plus de finesse et de douceur dans les traits : on eût dit une femme de la ville en costume de ciocciara[1].

Ce serait, il faut le dire, se faire une bien fausse image de la femme romaine, que de s’imaginer rencontrer en elle ce joli, ce piquant un peu apprêté que nous associons si souvent, de ce côté des Alpes, à l’idée de la beauté. Le portrait de la Fornarina si célèbre de Raphaël, — non pas la magnifique peinture de la Tribune de Florence, qui n’est pas la vraie Fornarina, et que de grands connaisseurs croient même ne point être de Raphaël[2], mais le portrait authentique du palais Barberini, et dont le palais Borghèse possède une copie de Jules Romain, — offre des traits d’une beauté élevée, sévère, mais un peu dure et sauvage : une Maria Grazia du XVIe siècle.

À ces modèles des Termini, qui alimentèrent pendant long-temps l’atelier de Robert, vinrent se joindre de nouveaux modèles que les expéditions inexorables des carabiniers romains lui fournirent en encombrant le château Saint-Ange et la forteresse de Civita-Vecchia. Quant à ceux d’entre les brigands libres qui entretenaient de secrets rapports avec leurs amis des Termini, la personne des artistes, celle de Robert surtout et de Schnetz, leur devint sacrée ; une hospitalité chevaleresque accueillait ces artistes là où d’autres eussent probablement trouvé la mort. Des parens des deux sœurs Maria Grazia et Teresina escortèrent les deux amis pour les protéger au plus fort des combats qui suivirent le sac de Sonnino, et l’un de ces hommes, traversant un jour avec eux cette ville où des têtes de suppliciés décoraient les portes extérieures en faconde bucrânes antiques, leur montra dans le nombre, non sans quelque fierté, celle de son frère et celle de son cousin.


IV.

La célébrité de ces deux femmes singulières, qui exercèrent alors et depuis, comme modèles, une sorte d’influence sur le talent de Léopold, a dépassé les limites des ateliers, et c’est encore s’occuper de Robert que de donner sur elles quelques détails.

Maria Grazia et Teresina étaient filles d’un cacciatore ou chasseur,

  1. La cioccia est cette sandale du paysan romain, laquelle s’attache avec des cordes qui remontent autour de la jambe. De là le peuple dit un ciocciaro, une ciocciara, termes consacrés aussi dans les ateliers de peinture.
  2. La couleur olivâtre de ce portrait semble être celle des Giorgion, et s’éloigner de celle des Raphaël, dont la teinte est plutôt brique. En outre, on retrouve le même modèle au musée de Parme, et c’est un Giorgion incontestable comme incontesté.