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et étaient nées, la Maria Grazia en 1797, la Teresina en 1802. Toutes deux n’avaient que quinze ans quand elles furent mariées. Grazia épousa un garçon de dix-sept ans, Marco Caperchio, berger et brigand, ou peu s’en faut. Il y avait alors, sur la lisière de la montagne, un nommé Mattia Caputi, propriétaire laboureur, qui ne portait pas cette cioccia, la sandale classique du paysan romain. « Il laboure en souliers, donc c’est un riche, » avaient dit les brigands. Le saisir, le garrotter, l’enlever dans la montagne fut l’affaire d’un instant, et Mattia ne dut la liberté qu’à une rançon de cent piastres que sa femme paya en vendant ses bijoux. Depuis cette aventure, poussé par la vendetta, il cherchait ses bandits, quand, un jour, il en trouva plusieurs dans une auberge. Il en tua deux et en poursuivit un troisième, qui ne fut atteint que dans ses habits et s’échappa. L’un des tués était le mari de Maria Grazia, qui ne l’avait épousé que depuis sept mois ; le fugitif était son cousin, un certain Gregorio. Dès ce moment, la vendetta fut mutuellement jurée entre Gregorio et Mattia.

Cependant, Maria, la belle veuve, était l’objet de toutes les ardentes convoitises des héros de la montagne. Ce fut Francesco Nardelli, charbonnier, qui eut sa main. « Le premier un agneau, le second un tigre, » disait Maria elle-même, parlant de ses deux maris. Il y avait un an qu’elle était remariée, quand l’honnête Nardelli fut chargé par sa bande de tuer à Terracina un dénonciateur. Le coup fait, il s’enfuit dans la montagne, où le zèle du bourreau de Sonnino le força à demeurer. Sur ces entrefaites, l’expédition des carabiniers romains s’opéra, et Grazia, qui venait d’être mère, et qui tenait son maillot sur sa mamelle, fut enlevée avec Teresina, et jetée aux Termini. Elle avait alors près de vingt-trois ans, Teresina dix-huit.

Déjà, trois années avant le sac de Sonnino, celle-ci s’était mariée, et précisément à ce Mattia Caputi devenu veuf, Mattia le tueur de brigands, qui avait à régler avec le cousin de la jeune Romaine un certain compte de vendetta. Mattia vint tirer Teresina de l’établissement des Thermes, et fut chargé par le gouvernement d’aller, accompagné de sa femme, dans la montagne, traiter avec les bandits. Dans un défilé, il se rencontre, un jour, face à face avec Gregorio. Prompt comme l’éclair, celui-ci fondait sur lui, le stylet à la main, quand, d’un mot, Mattia l’arrête. « Plus de vendetta ! s’écrie-t-il, nous sommes parens : Teresina est ma femme. » On s’embrasse, la paix est faite, et ils reviennent à Rome de compagnie. Chevalerie manquée que ce brigandage romain !

Pendant que cette réconciliation s’accomplissait, le mari de la Grazia était toujours à la montagne[1]. Il lit un jour un décret d’amnistie à la porte d’une église, et s’empresse de se rendre à Sonnino pour faire sa

  1. Se faire brigand s’appelle à Rome se jeter à la montagne : buttarsi alla montagna ; être brigand, esser alla montagna.