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Les feuilles tombaient, le corbeau croassait, le soleil jetait sur nous des regards maussades ; alors nous nous disions froidement : « Adieu ! » et tu me faisais poliment la révérence la plus civile du monde.

XXIV.

Nous nous sommes beaucoup aimés, et pourtant nous nous sommes toujours parfaitement accordés. Nous avons souvent joué au mari et à la femmes et pourtant nous ne nous sommes ni chamaillés ni battus. Nous avons ri et plaisanté ensemble, et nous nous sommes donné de tendres baisers. Enfin, évoquant les plaisirs de notre enfance, nous avons joué à cache-cache dans les champs et les bois, et nous avons si bien su nous cacher, que nous ne nous retrouverons jamais !

XXV.

Tu m’es restée fidèle long-temps, tu t’es intéressée pour moi, tu m’as consolé et assisté dans mes misères et dans mes angoisses.

Tu m’as donné le boire et le manger ; tu m’as prêté de l’argent, fourni du linge et le passeport pour le voyage.

Ma bien-aimée ! que Dieu te préserve encore long-temps du chaud et du froid, et qu’il ne te récompense jamais du bien que tu m’as fait !

XXVI.

Et tandis que je m’attardais si long-temps à rêvasser et à extravaguer dans des pays étrangers, le temps parut long à ma bien-aimée, et elle se fit faire une robe de noces, et elle entoura de ses tendres bras le plus sot des fiancés.

Ma bien-aimée est si belle et si charmante, sa gracieuse image est encore devant mes yeux ; les violettes de ses yeux, les roses de ses petites joues brillent et fleurissent toute l’année. Croire que je pusse m’éloigner d’une telle maîtresse était la plus sotte de mes sottises.

XXVII.

Ma douce bien-aimée, quand tu seras couchée dans le sombre tombeau, je descendrai à tes côtés et je me serrerai près de toi.

Je t’embrasse, je t’enlace, je te presse avec ardeur, toi muette, toi froide, toi blanche ! Je crie, je frissonne, je tressaille, je meurs.

Minuit les appelle, les morts se lèvent, ils dansent en troupes nébuleuses. Quant à nous, nous resterons tous les deux dans la fosse, l’un dans les bras de l’autre.

Les morts se lèvent, le jour du jugement les appelle aux joies et aux tortures ; quant à nous, nous ne nous inquiéterons de rien et nous resterons couchés et enlacés.

XXVIII.

Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du Nord. Il sommeille ; la glace et la neige l’enveloppent d’un manteau blanc.

Il rêve d’un palmier, qui, là-bas, dans l’Orient lointain, se désole solitaire et taciturne sur la pente d’un rocher brûlant.