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Le rossignol chanta : « toi, beau sphinx, ô amour ! pourquoi mêles-tu de si mortelles douleurs à toutes les félicités ?

« beau sphinx ! ô amour ! révèle-moi cette énigme fatale.--Moi, j’y ai réfléchi déjà depuis près de mille ans. »

Le premier rêve est un sombre début, mais il a le charme enivrant des fleurs dangereuses dont le parfum donne la mort. C’est la Vénus Libitina qui, de ses lèvres violettes, donne au poète le dernier baiser :


Le Rêve.

Un rêve, certes bien étrange, m’a tout ensemble charmé et rempli d’effroi. Mainte image lugubre flotte encore devant mes yeux et fait tressaillir mon cœur.

C’était un jardin merveilleux de beauté ; — je voulus m’y promener gaiement ; tant de belles fleurs m’y regardaient ; à mon tour, je les regardais avec plaisir.

Il y avait des oiseaux qui gazouillaient de tendres mélodies ; un soleil rouge rayonnant sur un fond d’or colorait la pelouse bigarrée.

Des senteurs parfumées s’élevaient des herbes. L’air était doux et caressant, et tout éclatait, tout souriait, tout m’invitait à jouir de cette magnificence.

Au milieu du parterre, on rencontrait une claire fontaine de marbre ; là je vis une belle jeune fille qui lavait un vêtement blanc.

Des joues vermeilles, des yeux clairs, une blonde image de sainte aux cheveux bouclés ! — Et comme je la regardais, je trouvai qu’elle m’était étrangère, et pourtant si bien connue !

La belle jeune fille se hâtait à l’ouvrage en chantant un refrain très étrange : « Coule, coule, eau de la fontaine, lave-moi ce tissu de lin. »

Je m’approchai d’elle et je lui dis tout bas : « Apprends-moi donc, ô douce et belle jeune fille ! pour qui est ce vêtement blanc ? »

Elle répondit aussitôt : « Prépare-toi, je lave ton linceul de mort. » Et comme elle achevait ces mots, toute la vision se fondit comme une écume.

Et je me vis transporté ainsi que par magie au sein d’une obscure forêt. Les arbres s’élevaient jusqu’au ciel, et tout surpris je méditais, je méditais.

Mais écoutez ; quel sourd résonnement ! C’est comme l’écho d’une hache dans le lointain. Et courant à travers buissons et halliers, j’arrivai à une place découverte.

Au milieu de la verte clairière, il y avait un chêne immense ! et voyez, ma jeune fille merveilleuse frappait à coups de hache le tronc du chêne !

Et coup sur coup, brandissant sa hache et frappant, elle chantait : « Acier clair, acier brillant, taille-moi des planches pour une bière. »

Je m’approchai d’elle et je lui dis tout bas : « Apprends-moi, belle jeune fille, pourquoi tailles-tu ce coffre de chêne ? « 

Elle dit aussitôt : « Le temps presse ; c’est ton cercueil que je construis. » Et à peine eut-elle parlé que toute la vision se fondit comme une écume.

Et autour de moi s’étendait une lande pâle et chenue. Je ne savais plus ce qui m’était arrivé. Je me tins là immobile et frissonnant. Et comme j’allais au hasard, j’aperçus une forme blanche ; je courus de ce côté, et voilà que je