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Mais les temps sont changés. L’investiture de la suprématie spirituelle dans le chef du pouvoir temporel, commencée par Henri VIII et continuée par les dynasties protestantes, avait un but et un caractère essentiellement politiques. Ce fut un acte d’ambition personnelle d’abord, et par la suite un acte de nationalité. C’était une protestation contre les usurpations temporelles de Rome, et les rois d’Angleterre furent appelés « défenseurs de la foi, » parce qu’ils devaient protéger la religion et le territoire contre les papes. Aujourd’hui, il n’y a plus de Stuarts ; les papes n’aspirent plus à la dispensation des territoires ou des couronnes, et l’Angleterre elle-même vient de renouer avec Rome les relations officielles interrompues depuis deux siècles. En sûreté contre toute agression étrangère, l’anglicanisme peut maintenant revendiquer plus librement son indépendance spirituelle, et le joug intolérable que le pouvoir séculier vient de lui faire sentir provoquera chez lui la demande d’un concile national ou d’un tribunal supérieur. L’alliance politique et nationale, qui ne vivait que par une transaction perpétuelle et une mutuelle modération, a reçu un coup mortel ; c’est la couronne qui l’a porté, l’église répondra tôt ou tard. La constitution, d’ailleurs, est déjà entamée ; l’unité n’est plus intacte. Il y a vingt ans encore, la législature était purement et exclusivement protestante ; maintenant elle est ouverte à toutes les communions, de sorte que des catholiques, des dissidens ou des juifs font des évêques anglicans, puisqu’ils font les ministres qui les nomment. Avec l’égalité des cultes, le cumul du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel n’est plus praticable.

Cette séparation nécessaire, inévitable, fait de grands progrès en Angleterre. Les partis se dessinent de plus en plus dans l’église ; la marche ascendante du parti orthodoxe a provoqué une réaction dans le parti protestant connu sous le nom d’évangélique, et qui se rapproche de jour en jour des sectes dissidentes. L’appui du gouvernement actuel a donné à ce parti l’adjonction de l’archevêque de Cantorbéry, que lord John Russell a eu à nommer dernièrement.

La question est restée suspendue, parce que les évêques ont eu peur d’aller jusqu’au bout. C’était renoncer à leur existence temporelle, à leurs sièges, à leurs biens ; c’était de plus un schisme et la destruction de la constitution anglaise, qui repose sur l’union des deux pouvoirs. Ils ont reculé, et n’ont pas osé faire ce sublime pèlerinage que l’église libre d’Ecosse accomplit, il y a quelques années, dans les rues d’Edimbourg, au milieu d’une population enthousiaste ; mais la semence de la liberté est jetée, elle germera et grandira, et nous la verrons tôt ou tard s’épanouir et se faire jour à travers tous les obstacles.


JOHN LEMOINNE.