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veille, voilà le principal motif pour lequel on s’est cru obligé de rafraîchir dans un somptueux préambule la vieille proclamation des droits et des devoirs.

Il y avait trois faits amenés par la révolution de février, deux faits politiques immédiatement réalisés, la ruine de la monarchie et l’introduction du suffrage universel, un fait social devenu bientôt de plus en plus hypothétique, la réforme de la société par l’organisation du travail ou par la reconnaissance du droit au travail, ce qui n’est qu’une même chose. Ces trois faits, subordonnés selon la prudence et surtout selon la possibilité pratique, étaient à eux seuls toute la constitution, sauf examen ultérieur et radiation éventuelle du dernier. La constitution ainsi concentrée se présentait dès l’abord avec la modestie que pouvait suggérer le souvenir des accidens auxquels elle devait sa naissance. Malheureusement le fait hypothétique avait pris tant de place et s’était donné de si grands airs, qu’il primait contre l’habitude les faits certains et accomplis. La révolution sociale qu’on était en train d’enfanter éclipsait presque totalement la révolution politique, qui avait déjà pied dans le monde et pignon sur rue. Celle-ci même, imaginant s’ennoblir et s’embellir, s’essayait à parler le langage de l’autre. Le préambule de la constitution est une preuve qu’elle y réussissait fort mal. Ce préambule semble écrit par la révolution politique pour dissimuler l’avortement de la révolution sociale ; on lui aurait volontiers pris ses mots pour la consoler de ce qu’on ne prenait pas ses choses, et, dans tous les cas, on s’inspirait de son style pour revoir et corriger la déclaration de 91. Ah ! certes c’était alors un spectacle magnifique de voir cette France dont la fédération venait de faire une seule France inaugurer l’avènement définitif de son unité par la réalisation des vérités philosophiques et politiques dont un siècle incomparable avait rempli son ame. C’était quelque chose alors que de poser à la face de l’univers, dans les lois d’une nation, ces idées de liberté, d’égalité, de souveraineté, qui n’avaient jamais encore été comprises de la sorte sur la terre féodale. Si l’on voulait aujourd’hui les rappeler au début d’une charte nouvelle, il fallait au moins s’incliner devant la mémoire de leur origine ; il ne fallait pas les paraphraser comme si l’on venait de les découvrir, il ne fallait pas surtout amalgamer ces solides traditions de nos grands esprits avec l’infiltration malencontreuse de ces doctrines vagabondes des esprits faux de nos jours. Mais, dira-t-on peut-être, on n’aurait pas eu de préambule ? Était-ce un si grand dommage ?

Entendons-nous pourtant ; que l’état commençât cette nouvelle édition du code national par reconnaître qu’il avait en lui-même assez de foi pour imprimer à son œuvre un caractère d’autorité morale ; que la raison laïque se prononçât en pleine confiance sur les idées fondamentales de toute société humaine, et les affirmât en son nom ; qu’elle attestât d’elle-même la présence de Dieu, c’était son droit, le droit qu’elle ne doit jamais perdre de vue, si elle veut toujours rester digne d’elle-même, et continuer la véritable inspiration de 89. Mais qu’est-ce qu’on gagne à voter que la France se propose de conserver l’initiative du progrès dans le monde, que le but de la France est d’augmenter la somme des avantages sociaux par la réduction des charges, et qui trompe-t-on par ces billets sans échéance ? Qui trompe-t-on aussi par ces scrutins où 777 voix sur 777 votans proclament la république démocratique ? Est-ce que la démocratie pour laquelle M. Dupin combat avec une chaleur imprévue serait en soi la dé-