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toyens sont aujourd’hui entrés en participation du sol, et ce morcellement a résolu pour la richesse agricole du pays le problème économique qui consiste, non à retirer de la terre le plus grand produit net possible, mais à faire produire et consommer le plus possible par le plus grand nombre d’hommes possible.

Réaliser pour l’industrie ce qui a été fait pour l’agriculture, c’est-à-dire faciliter à l’activité individuelle l’accès à la propriété ; faire que l’ouvrier devienne propriétaire comme le paysan, telle sera, suivant M. Charles Laboulaye, la solution de cette formidable question du travail qui pèse sur la république, solution rationnelle, facile à atteindre par des voies pacifiques, et, ce qui est essentiel, en harmonie avec nos mœurs et nos idées démocratiques. Pour cela, plus de monopoles conférés par la législature pour l’exploitation d’industries d’un intérêt tout-à-fait général. À l’état seul les grandes industries, routes, canaux, postes, chemins de fer, dont le bon marché importe à tous. Quant à l’industrie privée, liberté absolue et concurrence. C’est la seule condition du progrès, le pouvoir social ne devant intervenir que pour assurer à chaque individu la propriété, fruit de son travail et de sa capacité, lui fournissant par l’instruction les moyens de développer cette capacité, lui facilitant enfin par la création des institutions de crédit le moyen de produire par son travail.

M. Laboulaye émet une idée vraie, quand il dit que c’est dans le principe organique d’une société qu’il faut chercher le remède aux maux dont elle est atteinte, et non dans l’inintelligente imitation des institutions étrangères. Selon lui, l’industrie française doit entrer dans une tout autre voie que celle dans laquelle l’application du système anglais l’a jusqu’ici engagée. Il se fonde sur les faits nombreux qu’il a constatés en étudiant la constitution économique des diverses branches de cette industrie, et sur les résultats des statistiques officielles, desquelles il ressort que les branches de fabrication dans lesquelles la France a jusqu’à présent excellé, et qui se développent chez elle sans avoir besoin d’encouragement, sont précisément celles qui s’exercent dans de petits ateliers extrêmement multipliés. D’après les mêmes documens, les industries au contraire pour lesquelles la France s’impose de lourds sacrifices, celles qui sont centrahsées dans de grands établissemens imités de l’Angleterre, ne peuvent exister qu’à grand’peine à l’aide de la protection des douanes, et sont toujours fort inférieures. En un mot, la propriété industrielle en France est naturellement morcelée et tend à le devenir plus encore, tandis que les grandes entreprises industrielles ont peine à s’y acclimater. On comprend que cette théorie ne peut être absolue et doit soulever des objections dont l’auteur nous semble ne pas tenir assez de compte. Les questions qu’il aborde voudraient être débattues longuement et successivement au point de vue de chacune des branches de notre industrie. Nous ne les discuterons pas. Nous n’avons voulu que signaler à l’attention un livre qui unit à une connaissance étendue des faits industriels un remarquable, esprit de justice et d’impartialité.


V. de Mars.