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prise, de certains scrupules, on dirait presque d’un peu de remords. Le public, en effet, ne se soucie pas d’être long-temps ou complice ou dupe de qui que ce soit, et, s’il aliène parfois son indépendance, il réserve toujours son jugement. On pressent le moment, moins reculé que certaines gens ne s’en étaient flattés, où le procès déjà instruit au fond d’un grand nombre de consciences va être porté devant un tribunal dont les plus superbes ne peuvent fuir la juridiction ni rejeter entièrement les sentences.

Comment l’opinion publique ne reviendrait-elle pas douloureusement sur l’origine de notre gouvernement républicain ? L’origine des gouvernemens importe à leur honneur autant qu’à leur durée. Croit-on que la Suisse eût gardé religieusement pendant six cents ans son régime démocratique, s’il ne rappelait à sa mémoire la gloire de Guillaume Tell et les exploits des valeureux paysans qui ont chassé de leurs montagnes les descendans de la maison d’Habsbourg ? Les états fédérés de l’Amérique du Nord seraient-ils, à l’heure où nous écrivons, si attachés à leurs institutions populaires, si elles ne leur avaient été rendues sacrées par le souvenir des vertus de Washington et par la mémoire des hauts faits de la lutte contre l’ancienne métropole ? Au début de tous les empires durables apparaissent toujours quelques grands hommes jetant sur l’œuvre de fondation nouvelle un lustre qui la rehausse à la fois dans le présent et la consolide dans l’avenir. Quoi de semblable parmi nous en février 1848 ? Quelles actions d’éclat notre révolution léguera-t-elle à l’admiration des générations futures ? Quels noms donnera-t-elle à retenir à nos enfans ? Soyons-en donc persuadés : ou la république ne parviendra pas à s’établir en France, ou ceux qui lui seront le plus attachés seront bientôt les plus embarrassés de la misère de ses commencemens, les plus portés à s’en inquiéter, les plus ardens à s’en plaindre. Le rouge leur montera au visage, quand ils songeront dans quel berceau l’enfant de leur prédilection a pris naissance, quels bras l’ont d’abord reçu, à quels égaremens il a été tout d’abord entraîné. Les républicains sincères, ayant un peu souci du vrai, du juste, de l’honnête, tels qu’il en existe déjà, nous le croyons, tels qu’il s’en comptera tous les jours davantage, nous le souhaitons, auront à demander des comptes sévères aux premiers patrons de la jeune république. Pour nous, dont les récens événemens ont heurté toutes les convictions, froissé tous les sentimens, qui nous reconnaissons sans qualité pour être jaloux de l’honneur du régime nouveau, nous ne serons point partie au débat ; mais nous pouvons prévoir à l’avance quels seront les accusateurs et quels seront les griefs. Les vainqueurs de février ne seront pas accusés d’avoir fait brutalement appel à la violence et à la force : la force et la violence ont fondé d’autres gouvernemens qui ont trouvé grace devant