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5 milliards. En sorte qu’un capital qui, dans l’hypothèse aujourd’hui démontrée fausse de la légitimité de l’intérêt, ne devrait entretenir au plus, à la moyenne de 69 centimes par jour et par tête, que 400,000 parasites, en fait vivre 5 millions, la septième partie de tout un peuple. » J’en appelle à M. Proudhon lui-même : s’il avait lu ces lignes dans une publication communiste, lui qui tire si grande vanité de son érudition économique, de quel mépris n’eût-il pas accablé le malheureux scribe qui aurait eu le malheur de les tracer ! Quoi ! confondre le numéraire, le capital circulant, avec la richesse sociale et le capital national ! attribuer à la vertu du numéraire qui court de main en main cette accumulation de travail, ce capital consolidé qui, appliqué à la dette publique, représente une prime d’assurance politique payée à l’état ; — à la dette hypothécaire, une transmission prochaine de propriété ou un accroissement de la valeur de la terre ; — aux obligations et actions, une multiplication des instrumens de travail, une augmentation des forces productives du pays ; — à l’escompte enfin, le crédit, c’est-à-dire la transformation fertilisante des profits et des revenus en entreprises nouvelles, en travail, en salaires et en produits ; — confondre tout cela avec le rôle du numéraire pour nous montrer la moitié de la nation comme spoliée et l’autre moitié comme vivant de rapine, quelle méchante et plate ignorance ! eût dit M. Proudhon. « Tant qu’un fait plus puissant ne sera pas opposé à la propriété, ces attaques ne sont bonnes qu’à ameuter la gueuserie ! »

Ce fait plus puissant, est-ce le prétendu fléau de la concurrence, cet hobby-horse de M. Louis Blanc, qui le fournira ? Je ne suivrai pas M. Blanc ni les socialistes dans leurs critiques de la concurrence, d’ailleurs si souvent et si victorieusement réfutées. J’en dis tout de suite la raison : c’est que personne ne nie les maux particuliers et les souffrances personnelles qui pèsent encore sur les hommes sous le régime industriel. Loin de là : quoique de jour en jour décroissans, nous croyons pourtant ces maux inhérens à la nature humaine telle qu’elle nous est connue, car ils sont la condition et la conséquence nécessaires de la liberté. Mais les socialistes font une confusion perpétuelle que le sens commun, trop long-temps insulté par eux, devrait enfin leur interdire : les socialistes, comme je l’ai déjà observé, confondent sans cesse la question particulière et la question générale. Ils posent d’abord la question dans les termes généraux : il s’agit de rechercher quelle est, pour l’humanité en masse, la condition la plus heureuse ; puis, dans la discussion, ils ne s’occupent plus que des accidens particuliers. Il y a des négocians qui se ruinent, il y a des ouvriers qui chôment, hélas ! nous ne le savons que trop ; mais, avant de conclure de là contre le régime de la concurrence, il faut examiner si, dans son ensemble et prise en masse, la société ne voit pas l’intensité de ses