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En effet, il fallut payer les laboureurs irlandais selon le taux qu’ils avaient fixé. La plupart des révoltes irlandaises n’ont pas d’autres motifs : la faim accrue par la paresse et la paresse excitée par l’aumône.

Telle est la trame douloureuse dont se composent, tant de misères matérielles et morales, et dont le contre-coup double et permanent frappe l’Angleterre par l’Irlande et l’Irlande par l’Angleterre. L’état de la propriété et la subdivision du territoire en petites parcelles qui suffisent à peine à nourrir celui qui les occupe achèvent la ruine du pays. Le propriétaire anglais ou irlandais de vingt mille acres de terrain n’habite pas une contrée dangereuse pour lui, où le moindre fermier ou tenancier mécontent va le frapper au coin d’un bois, au détour d’une haie, d’une balle de pistolet, ou d’un coup de massue. Il ne prend aucun soin de son domaine, dont il abandonne la gestion au middle-man, agent qui lui paie une rente ; puis il s’en va en pays étranger toucher le revenu brut du sol qu’il possède. En son absence, on divise et subdivise encore ce territoire ; le middle-man y trouve son intérêt. Grace à une multitude de sous-locations, le terrain, déjà si morcelé, nourrit bientôt une horde de misérables êtres qui pullulent en proportion de leur détresse : vraie garenne d’animaux sauvages, dont chacun se nourrit à peine pendant les années ordinaires en cultivant un ou deux pouces de terre ; à la première année de disette, la fièvre et la faim les emportent par milliers. « Quand je visitai Donegah (dit M. Otway, commissaire royal), je reconnus que, plus la terre était divisée, plus les paysans étaient misérables. A Raphoe spécialement, l’extrême misère avait réduit hommes et femmes à l’état de squelettes, et beaucoup d’entre eux se tenaient au lit, n’ayant pas de vêtemens pour se couvrir. » Qui le croirait ? cette vie affreuse a des charmes pour les sauvages Irlandais ! Ils goûtent dans cette indépendance affamée une espèce de jouissance farouche qu’ils ne veulent échanger contre aucune liberté raisonnable ; on leur arracherait plutôt la vie que ce coin de terre qui fait leur orgueil, et qui les tue au lieu de les nourrir. Ils mettent le feu aux maisons des magistrats qui essaient d’organiser leurs domaines et de les cadastrer d’après un plan moins déraisonnable. Pourvu qu’ils aient leur petit skibberlen ou jardin de trois pieds carrés, qu’ils maudissent les Saxons à leur aise, qu’on leur fasse l’aumône et qu’ils puissent aller à la messe sans pratiquer aucune des vertus que le catholicisme commande, ils se soumettent en aveugles à la fatalité.

Je me suis plu à étudier ces curieux caractères de l’Irlande morale dans une série de fictions qui ont joui de quelque popularité et qui ont été écrites et publiées par M. Lever. Je ne m’occuperais pas d’une analyse détaillée de ces fictions, si elles n’avaient trait à plusieurs points importuns de l’histoire des races et de la morale politique, surtout si