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pourrait sortir de cette barbarie. Les formules politiques n’y suffiront jamais ; il faut changer le fond des mœurs. Un parlement ne la sauverait pas. L’Irlande s’est long-temps enthousiasmée en faveur d’un parlement spécial, d’un parlement irlandais, qui, au lieu de lui porter bénéfice, l’a mise à deux doigts de sa perte. On y discutait beaucoup ; les métaphores les plus éclatantes et les apostrophes les plus hardies y tombaient par cataractes ; les intrigues n’y manquaient pas plus que l’éloquence et la saillie. L’Irlande n’y gagnait rien.

La démoralisation s’opère aisément, la désorganisation et la ruine sont rapides ; mais la réorganisation est pénible et lente, et il n’y a pas de problème plus difficile au monde que la résurrection d’un peuple. Quelques personnes proposent de secourir l’Irlande par l’aumône universelle, On fait valoir, comme chez nous, le « droit à l’assistance, » et l’on veut introduire en Irlande la taxe des pauvres, en vigueur depuis Élisabeth. « Je l’ai vu à l’œuvre, dit un rapporteur anglais, M. Conwell, ce droit à l’assistance, et je me sens aussi incapable d’en donner une idée juste que de dernier l’idée complète de la peste et des effets qu’elle produit. J’ai causé avec des pauvres que le système actuel a faits ce qu’ils sont. Je les ai examinés et questionnés. On les a conduits, par cette assistance, à la dernière dégradation et à la dernière misère. » Ce moyen serait donc détestable.

Avant tout, il faut métamorphoser la vie morale du pays et le rattacher au groupe dont il fait nécessairement partie. Il en est de l’Irlande comme de ces fils ou de ces femmes qui veulent se détacher de leur famille et ne peuvent prospérer que par elle : esprits indépendans, qui, pour un peu de vanité satisfaite, compromettent leur existence entière. L’intérêt vital de l’Irlande est de rester unie à la famille, c’est-à-dire au groupe anglais, écossais, keltique et saxon, qui compose la Grande-Bretagne. Il ne s’agit pas pour elle d’avoir un parlement, mais de vivre, de cultiver son champ et d’avoir du numéraire. Il lui faudrait pour cela toutes les qualités qu’elle n’a pas et tous les défauts qui lui manquent. Elle n’est pas patiente, persévérante, économe, laborieuse ; elle estime peu le capital et ne sait pas faire d’économies ; elle cultive mal la terre, et n’a point de goût à la bien cultiver ; elle joint l’imprévoyance du sauvage au goût pour le luxe et aux vaniteuses dépenses de l’homme civilisé. Fermiers et seigneurs, paysans et bourgeois aiment la ruine et l’extravagance. La vie calme et paisible est un fardeau que personne ne supporte, et l’on ne donnerait pas une journée de paresseuses délices, d’orgies, de combats et d’aventures, pour dix années de richesse hollandaise et de bien-être laborieux. Le civilisateur ou plutôt le réparateur de l’Irlande aurait donc à lutter contre les vertus inutiles et les brillantes qualités de cette race extraordinaire ; il aurait même à combattre et à dompter un sol laissé en friche depuis des siècles et couvert de marais stagnans. Il y a en Irlande trois millions d’acres anglaises