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l’histoire ; ils ne seront pas non plus condamnés pour avoir, dans une heure de colère, foulé aux pieds ce qui autrefois semblait aux hommes digne de tout leur respect, la royale inviolabilité d’un vieillard, la faiblesse d’une femme, l’innocence d’un enfant : notre siècle est un siècle plein de rudesse, sans pitié pour les augustes infortunes ; il a tranquillement assisté à la ruine d’un autre vieillard, d’une autre femme et d’un autre enfant. Ce qui leur sera plus difficilement pardonné, c’est d’avoir fait tout cela sans avoir osé revendiquer aucun droit, arboré durant le combat aucun drapeau, c’est d’avoir procédé clandestinement, par surprise, et, ce qui est pire peut-être, sans vraie et sérieuse passion, de telle sorte que l’avènement du principe républicain, qui aurait pu être légitime, venu à son heure, se produisant sous son vrai nom, marchant enseignes déployées à la conquête du pouvoir par la domination des intelligences, n’apparaîtra de long-temps, secrète et éternelle douleur de ses loyaux partisans, que comme le triomphe fortuit de quelques fauteurs d’émeutes, aidés d’un petit nombre de rêveurs et des conspirateurs de tous les régimes.

Cependant je ne prends point la plume pour dire ce que je pense de quelques hommes déjà tout près d’être oubliés, si sûrs de l’être le jour où ils cesseront d’être redoutés ; je ne me propose même pas d’exprimer un jugement sur l’ensemble des faits survenus depuis le 24 février. D’un côté, je me mépriserais de les absoudre lâchement, de les apprécier avec complaisance ; de l’autre, à les représenter tels qu’ils ont été, à les qualifier comme à mes yeux ils méritent d’être qualifiés, je craindrais d’affaiblir l’autorité, de gêner l’action de ceux à qui le cours des événemens a fait passer le dangereux héritage, et qui font tardivement effort pour en répudier les plus tristes portions. Le plaisir des faciles représailles ne me tente pas non plus ; je n’ai pas goût à ramasser et à retourner contre la république les armes perfides dont elle se servait de si grand cœur contre la monarchie. Les lois d’août dernier (sauf le respect que je leur dois), si semblables aux lois de septembre, pourraient sans doute être éludées comme elles. Entre les mailles resserrées de ce réseau, refait naguère de main de maître, il y aurait peut-être moyen de passer encore et de faire accroc ; je m’interdis de l’essayer. D’anciens adversaires, les puissans du jour, se sont convertis à mes opinions, c’est un honneur ; ce n’est pas un motif pour m’accommoder de celles dont ils ne veulent plus. Arrivés aux affaires, ils se sont aperçus qu’un gouvernement avait décidément le droit d’empêcher qu’on discutât son principe. Au lieu d’équivoquer contre eux, de leur faire remarquer que l’assertion parfaitement logique sous un régime de liberté limitée devient moins évidente sous un régime de liberté indéfinie, j’admire en eux l’action de la grace, j’applaudis au progrès et j’obéis. Assis au sommet de la hiérarchie sociale, ils ont re-