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gagne insensiblement les communes adjacentes. » Jusqu’ici les moyens répressifs sont restés sans succès, l’action de la justice se trouvant paralysée par la connivence de presque tout un canton.

Il suffirait, pour constater les souffrances de la propriété rurale, d’établir son bilan financier. Lorsqu’on a défalqué du revenu brut que les statistiques les plus probables lui assignent, les contributions foncières, celles des portes et fenêtres, les taxes communales, l’intérêt des créances hypothécaires, les rentes non hypothécaires, les droits d’enregistrement et de mutation multipliés par l’instabilité des entreprises, on s’étonne d’éprouver, pour les détenteurs de la richesse nationale, une sorte de commisération. Un calcul de ce genre a été fait, comme exemple, pour l’un de nos départemens les plus riches[1]. En 1834, le revenu net de la propriété foncière dans le département de Seine-et-Oise étant de 30,305,000 francs, il a été établi que, après paiement des impôts et des dettes, le revenu réel, la somme disponible restée dans les mains des propriétaires a été seulement de 6,296,431 francs.

Il serait naturel que les possesseurs du sol cherchassent à modifier un état, de choses qui leur est si peu favorable ; mais la passion ne raisonne pas ainsi. A l’avant-dernier congrès agricole, un orateur ayant soutenu qu’on augmenterait le sentiment moral et l’énergie créatrice des ouvriers ruraux, en leur offrant une chance éventuelle de bénéfices dans des opérations bien conçues, fut traité d’utopiste. La majorité de l’assemblée se prononça en faveur d’une proposition tendant à obtenir du gouvernement qu’il forçât les enfans trouvés et les vagabonds à résider dans les campagnes, afin que les bras à bon marché ne manquassent pas à la terre.

Malgré tout, quand les propriétaires ne sont plus sous l’influence de leurs préventions, et qu’ils obéissent à la seule impulsion de leur bon sens, ils entrent d’eux-mêmes dans la voie des réformes. Une tendance bonne à constater est celle de substituer au métayage la culture par maîtres-valets (alliance de mots qui sonne mal aujourd’hui et dont il serait convenable de s’abstenir). On appelle de ce nom des chefs de culture, gagés à l’année en argent et en grains, vivant chez eux à leur compte, placés, en un mot, auprès du propriétaire rural, comme un premier commis de fabrique. C’est un progrès en ce sens que le propriétaire méridional ne craindra plus de faire des avances à la terre ; mais des améliorations foncières auxquelles le cultivateur n’est pas intéressé ne lui montrent en perspective qu’un surcroît de fatigue ; nouvelle cause de mésintelligence et d’insuccès. Il faut que l’ouvrier sente qu’il travaille pour lui-même en travaillant pour son patron et que la

  1. Article Impôts, par M. Bigot de Morogues, ex-pair de France, dans le grand Dictionnaire d’agriculture.