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a fait succéder à des récoltes abondantes une série d’années calamiteuses. J’admets encore, suivant la plainte des économistes, que l’expérience n’a pas été faite loyalement, et que des manœuvres frauduleuses ont faussé le jeu naturel de la spéculation ; je veux dire seulement que, sans proscrire le laisser-passer, il ne faut pas trop compter sur lui pour nourrir les peuples.

Aujourd’hui, l’exportation est à peu près libre, et c’est l’importation qui est entravée. Les libre-échangistes retournent donc leurs batteries contre l’importation. Ils y voient, toujours à l’exemple de l’Angleterre, le remède à tous nos maux. Je consulte encore les archives du commerce, et je trouve que, pendant une période de vingt-deux années de liberté (de 1797 à 1818 inclusivement), la moyenne des prix est de 21 francs 87 centimes, et que pendant les dix-sept années de la période suivante (1817 à 1835), époque de prohibition, la moyenne n’est plus que de 19 francs 38 centimes.

Le fait est d’autant plus remarquable que les hommes de la restauration, après avoir voté l’exclusion des blés étrangers dans l’espoir de reconstituer une noblesse territoriale, voyaient avec autant d’étonnement que de dépit le prix des grains baisser à mesure qu’ils fortifiaient leur monopole. C’est que, dans l’illusion même de ce monopole, on opérait des défrichemens, on élargissait les cultures, on poussait à la production au-delà des besoins, de sorte que le privilège, dans son aveuglement, se détruisait lui-même.

L’entrée franche du bétail étranger n’apporterait pas non plus à l’état actuel des choses ces grands changemens où les uns voient la ruine et les autres un avantage signalé. Elle ne causerait qu’un faible préjudice aux éleveurs ; elle n’augmenterait pas d’une manière sensible la consommation de la viande ; elle en ferait à peine baisser le prix. Actuellement, quoique les droits protecteurs soient calculés sur le taux de 27 pour 100, ils ne représentent en réalité que 12 à 13 pour 100, parce qu’on n’introduit que des animaux de choix, dont le prix est bien supérieur à l’estimation administrative. En second lieu, les pays limitrophes, où la propriété est soumise comme chez nous à des lois peu favorables à la tenue des grands pâturages, n’ont pas à nous envoyer des bestiaux en nombre assez grand pour que les prix de nos marchés en soient affectés. Tirer le bétail de ces pays éloignés où il est encore nombreux et à vil prix, ce serait un triste calcul, malgré la facilité toujours croissante des communications. La fatigue du chemin épuiserait les animaux, et les dépenses qu’il y aurait à faire pour recommencer leur engraissement absorberaient les bénéfices faits sur le prix d’acquisition.

Si le principe de la liberté du commerce souffrait quelques restrictions, ce devrait être en ce qui concerne les engrais. On a peine à concevoir