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tions de ses représentans ; il n’en est point à goûter la paix des loisirs spéculatifs. Incessamment ramené aux réalités actuelles, aux vicissitudes, aux angoisses de sa vie présente, il ne prête qu’une attention distraite aux débats où l’on organise pour lui l’ordre entier d’une nouvelle vie. Sauf quelques rares éclairs qui, lancés du haut de la tribune, viennent parfois tirer le public de son indifférence, la tribune parlementaire n’a plus d’empire sur les imaginations. On a beau se répéter que c’est là qu’il se fonde quelque chose, que ces discussions après tout sont les seules assises du dernier toit qui doive nous abriter, qu’il ne s’agit point de recommencer toujours pour toujours détruire, et qu’au bout du compte nous en sommes au suprême effort de notre suprême sagesse. Avec la meilleure volonté possible, on ne réussit pas à se persuader, et l’on a malgré soi l’esprit ailleurs. Il serait grand, sans doute, de songer par-dessus tout à la postérité, d’inspirer nous-mêmes aux législateurs chargés de travailler pour elle cette foi calme et recueillie qui transporte les montagnes ; mais comment trouver assez de foi dans la destinée, quand à toute minute encore on tressaille au souffle inquiet de la rue, quand des fêtes déshonorantes répandent l’alarme à travers nos principales cités, quand des symptômes trop clairs nous révèlent l’affaissement précoce ou la servilité mécanique de ce régime électoral qui avait mission de retremper tout le pays ? C’est, il est vrai, la condition laborieuse des chartes modernes d’apparaître au milieu des déchiremens et des orages. Entre le jour où s’entama et le jour où s’acheva la constitution de 91, il y eut aussi bien des épreuves, et le contre-coup des accidens ou des anxiétés du moment arriva plus d’une fois jusque dans l’enceinte où l’on délibérait l’avenir. Nos pères, cependant, résistaient mieux que nous à de pareils assauts ; ils avaient cette toute-puissante jeunesse que nous n’avons plus. Enfans d’un siècle illuminé par tous les miracles de l’esprit, ils se tenaient pour assurés d’en construire un autre qui fût encore plus beau. Dans l’ardeur de leur zèle, ils ne sentaient pas sous leurs pieds les cailloux auxquels nous nous heurtons ; ils allaient toujours, parce que leur besogne était neuve. La meilleure preuve que la nôtre ne l’est pas ou ne l’est guère, c’est qu’à l’instant même où nous voulons nous y absorber, nous subissons, sans en pouvoir sortir, l’ascendant des choses du dehors et l’insupportable obsession du temps présent.

Faisons donc comme tout le monde, parlons d’abord de l’état où nous sommes ; c’est à quoi l’on s’intéresse plus qu’à tous les articles de notre future constitution. Dieu nous préserve de noircir, par système, l’horizon de la république ; nous n’en avons pas d’autre que le sien ; nous voudrions en voir dissiper tous les nuages. Nous n’affectons pas certainement la béatitude de l’optimisme ministériel, mais nous repoussons aussi les appréhensions exagérées que n’admet point un patriotisme loyal et sérieux. Eh bien ! qu’on interroge les hommes les plus accoutumés aux calculs politiques, ceux qui ont passé leur vie à méditer l’histoire ou à la faire, ceux qui sont le plus capables d’envisager d’avance la suite des événemens ; qu’on leur demande ce qu’ils augurent, ce qu’ils espèrent : tous vous répondront qu’ils ne voient pas à quinze jours devant eux. Cela seul est un indice grave qui commande la prudence, un indice malheureusement trop fondé. Sur quoi donc, en effet, pourrait-on asseoir des prévisions raisonnables, si l’instrument souverain dont le pays s’est emparé pour se manifester à l’aise dans sa force et sa liberté, si le suffrage universel se compromet et s’égare dans les