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plutôt les couvrir lui-même. C’est ainsi qu’ayant eu de son chef la malencontreuse idée d’envoyer des représentans choisis en mission dans les départemens, il n’a pas souffert que M. Senard, qui avait, à ses risques et périls, défendu l’idée d’autrui devant l’assemblée, déposât son portefeuille à la suite de son échec. « La circulaire faite homme » ayant succombé sous l’énergique et piquante discussion de M. de Falloux, M. Senard allait donner sa démission comme étant seul engagé ; le président du conseil s’y est vivement opposé : c’était très naturel. Il introduisait dernièrement dans le projet de colonisation algérienne une disposition spéciale dont il oubliait de faire part au ministre de la guerre, auteur du projet. Le général Lamoricière s’est incliné tout de suite devant cette initiative : c’était encore très naturel. Le général Cavaignac use pleinement et loyalement de sa suprématie politique. Comment donc la montagne distingue-t-elle toujours si volontiers entre le général et ses ministres, les ministres causant, à l’en croire, tout le mal qu’elle reproche, et le général n’en pouvant mais ? Que le président du conseil s’en rapporte aux gens bien informés, ce nuage si vite grossi par l’incident des commissaires, ce nuage qu’il regrettait de voir entre le gouvernement et l’assemblée, n’est-ce pas peut-être l’obsession de l’extrême gauche qui le forme autour de lui ? N’est-ce pas cette insistance avec laquelle on semble toujours vouloir lui cacher ses obligations d’homme politique sous le voile de ses souvenirs de famille ? Et qu’est-ce que cela signifie de crier partout : Vive Cornélie, la mère des Gracques !

Le général Cavaignac a eu le bon esprit d’aller au-devant des explications. L’ordre du jour équivoque inventé pour blanchir la plaie faite par l’interpellation trop heureuse de M. Baze dans l’affaire des commissaires, l’ordre du jour de M. Marrast était digne de cette tête expéditive : il ne guérissait rien. Des interpellations nouvelles ont permis au général d’épancher son cœur et de provoquer un vote de confiance On ne demande jamais aux gens s’ils vous aiment que lorsqu’ils vous ont donné sujet d’en douter, et plus souvent alors ils disent oui, plus il est à craindre qu’on n’approche du non. La commission exécutive voulut aussi, dans le temps, avoir son vote de confiance ; on le lui donna, tout comme on déclara qu’elle avait bien mérité de la patrie. Ce sont là pures politesses parlementaires, qui généralement n’obligent à rien. Nous souhaitons plus vivement que nous ne le pourrions dire qu’elles obligent beaucoup le parlement vis-à-vis du général Cavaignac ; mais nous comptons plus pour affermir le général dans sa position, pour déchirer tous les voiles, comme il s’est exprimé lui-même, nous comptons plus sur l’attitude décidée qu’il a prise contre l’impôt progressif dans le débat de la constitution. Cela du moins est un acte ; M. Gondchaux n’en aura pas eu l’honneur à lui seul. M. Ledru-Rollin venait d’étaler dans son banquet les grandes théories financières de la république démocratique et sociale : le général Cavaignac a senti fort à propos qu’il fallait à tout prix repousser toute espèce de solidarité de ce côté-là. Il a donné sur les doigts à la montagne, qui se jetait déjà en furieuse contre le pauvre M. Goudchaux, et il s’est rassis à son banc de premier ministre en homme qui le tient bien, tandis que M. Ledru-Rollin a gravi désormais par-delà les bancs des socialistes ces hauteurs stériles d’où il ne redescendra pas. Les puissances ne mettent pas long-temps à s’user par le temps qui court, et nous vivons si vite, qu’il n’y a pas de faute réparable. Le général Cavaignac le sait mieux que personne, et s’arrange en conséquence. De bonne foi, tant mieux pour nous.