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de conflit avec l’Autriche, qui la menace par son triomphe sur les limites du Tessin. Hors de ces trois pays privilégiés, il n’y a plus de repos nulle part. L’Espagne a toujours quelque province en état de siége. L’Italie aurait pu goûter encore quelques instans de répit : l’armistice signé par le maréchal Radetzky et par le roi Charles-Albert a été prolongé pour un délai de quarante-deux jours ; il s’est formé à Rome un ministère dont la composition doit offrir des garanties de stabilité, puisqu’il est sous la direction de M. Rossi ; mais Livourne, au même moment, s’est mis en pleine révolte contre Florence, et le bombardement de Messine, la résistance désespérée des Siciliens, ont jeté l’horreur dans toute la péninsule. Voici, d’autre part, les Russes qui pèsent de plus en plus sur le divan, malgré l’intervention maintenant officielle de notre ministre ; ils se fortifient en Moldavie, ils marchent sur Bucharest : soixante-dix mille hommes vont hiverner dans les provinces moldo-valaques ; la Turquie commence à se croire abandonnée. L’Europe occidentale est, en effet, accablée des préoccupations les plus cruelles. Vienne et Berlin ne sortent pas des crises de cabinet et des tentatives d’insurrection. L’insurrection a marché tête levée dans les rues de Francfort ; elle a laissé après elle des cadavres mutilés par une rage infâme. L’empire allemand commence son existence comme la république française, au bruit du canon de la guerre civile, sous la protection déplorable de l’état de siége. Francfort vaut Paris, et Paris n’a pas d’assassins plus abominables que Francfort. L’état de siége enfin vient aussi d’être appliqué aux districts du grand-duché de Bade, où l’on a étouffé la démonstration républicaine de Struve. Les barricades de Cologne n’ont pas eu meilleur succès, et nous ne savons rien de si pitoyable que le plagiat à la fois odieux et puéril de ces démocrates du Rhin qui s’assemblent pour proclamer niaisement à la française le mot de république rouge.

Ce qu’il y a derrière tant d’excès, si l’on ne s’arrête en chemin, plaise à Dieu que ce ne soit pas la ruine de la liberté dans le monde ! Berlin veut, dit-on, livrer une bataille de rues : si le général Pfuel la gagne, la Prusse constitutionnelle sera-t-elle bien certaine de survivre, et survivra-t-elle davantage, si la démagogie triomphe ? Qu’adviendra-t-il du cabinet constitutionnel de Vienne, si les Hongrois sont battus par le général croate de la camarilla d’Autriche, comme les Italiens l’ont été par son général bohème ? Et qu’est-ce que sera Francfort, si Vienne et Berlin entraient ainsi de force sur la pente effrayante où roule l’Allemagne ? Francfort, la future capitale de la libre unité allemande, sera peut-être, comme devant un foyer de servitude, un centre d’oppression pour tous les peuples germaniques. S’il n’y avait en face des idées de despotisme que les idées de sage progrès, nous ne douterions pas un moment de la victoire, et nous aurions toute confiance dans l’avenir ; mais contre la barbarie du despotisme il n’y a guère en jeu maintenant que la barbarie des démagogues. Entre les deux, nous n’avons nulle envie de choisir, et, quelle que soit celle qui triomphe, si l’une des deux triomphait, il ne resterait plus qu’à se voiler la tête. Si la France ne sait pas à temps interposer une main puissante, la France n’est plus rien.


V. de Mars.