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communion nouvelle, et, pour se recueillir, il se mit en quelque sorte en retraite.

« Je me suis occupé exclusivement à chercher une esquisse, et vous rirez peut-être de mes caprices, quand je vous dirai comment je l’ai faite. Je me suis installé dans une petite chambre de la maison que nous habitons. Je m’y suis enfermé, et, pendant dix jours, personne n’y est entré, pas même Aurèle. Je sentais le besoin de chercher seul à rendre l’idée que je me forme de sujets qui n’avaient encore occupé que ma tête. C’est toujours un travail de mettre sur la toile ce que voit l’imagination, et ce travail devient plus grand quand il s’agit d’un genre dont on n’a pas l’habitude. Aussi pensais-je que je devais chercher plus qu’un autre, mais j’ai voulu le faire sans influence. Avant de commencer, j’ai fait plusieurs promenades dans les meilleures réunions de tableaux, non pour prendre à droite et à gauche des idées ou des motifs, mais pour voir les bornes où l’imagination doit s’arrêter. J’ai trouvé, dans mes courses, que celle des artistes vénitiens les a presque toujours portés à parler aux yeux plus qu’au cœur, et, sous ce rapport, je ne sens pas comme eux, bien que j’admire une belle exécution… Pour inspirer une religieuse vénération, ce qui est assurément une grande difficulté de l’art, il faut avoir l’esprit et le cœur pénétrés. J’ai fait trois esquisses peintes assez grandes (les figures ont trois pieds et le tableau quatre et demi). La première ne m’a pas contenté. Je pensais donner à ce sujet de la poésie par un effet nouveau. J’ai trouvé qu’il y aurait à le rendre ainsi une recherche qui ôterait la simplicité et la noblesse. Une seconde ne m’a pas satisfait davantage : je n’y trouve aucune vérité historique ; c’est une scène ordinaire. La troisième enfin, bien différente des autres, est, je crois, assez réussie ; au moins Odier se montre enchanté. La manière dont il me l’a dit m’a bien encouragé. Non-seulement il a trouvé les grandes lignes heureuses, mais même l’ajustement des détails… J’en juge bien, car cet essai m’inspire une sécurité et une confiance que je n’ai jamais eues pour mon tableau de Venise, qui m’a donné tant et tant de travail !… Après avoir passé autant d’années que je l’ai fait uniquement occupé à rendre la nature d’une manière vraie, quoique je me sois efforcé d’accompagner la vérité d’une noblesse convenable, je reconnais qu’il y a dans les sujets classiques un caractère bien autrement élevé.

« Dans les arts où le sentiment joue un si grand rôle, c’est l’inspiration qui décide du genre de travail que l’on doit faire. Il y a une grande preuve de raison à écouter cette inspiration. Aussi n’écouté-je plus maintenant que ce je ne sais quoi d’indéfinissable qui est le véritable charme des arts et ne peut venir que d’un sentiment intérieur… Je finirai mon tableau ces mois-ci, et je pourrai encore, pendant les grandes chaleurs, avancer ma Sainte Famille. Mon esquisse est faite.