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« La soirée se passa d’une manière charmante. Ces dames, fort bonnes musiciennes, offrirent d’abord de faire de la musique, et demandèrent à Léopold ce qu’il préférait qu’elles exécutassent. Elles avaient le Requiem de Mozart, qu’il les pria de faire entendre. Puis vinrent des valses, et l’on se mit à danser. Léopold lui-même prit part à nos divertissemens, et se mit à causer avec une vivacité et une gaieté que je ne lui avais pas vues depuis long-temps. Je jouissais de le voir dans cette disposition. Aussi me promettais-je bien de mettre tout en œuvre pour le faire revenir au milieu de cette aimable famille. Avant de rentrer, nous fîmes encore, avec nos jeunes Allemands, une assez longue promenade. Nous trouvâmes à la maison le Journal des Débats, dans lequel M. Delécluze annonce l’arrivée du tableau des Pêcheurs à Paris ; le consul de France, M. de Sacy, avait eu l’attention de nous l’envoyer. Je fis lecture à Léopold de l’article qui le concerne, et, après lui avoir donné le bonsoir, je montai à ma chambre. Les jours suivans, jusqu’au vendredi, nous travaillâmes, selon notre coutume, l’un près de l’autre dans le même atelier. Ordinairement nous causions fort peu, autant par habitude que pour ne pas nous distraire de nos travaux ; mais ce jour-là nous étions souvent en conversation. . . .

« Dans les derniers jours, il était inquiet…

« … Il laissait voir tout ce qu’il avait de mobilité dans ses idées, dans ses projets. Sa parole était entrecoupée, ses discours peu clairs, et je m’efforçais de lui faire rendre sa pensée plus nettement, afin de pouvoir combattre ce qu’il y avait d’inquiétant dans ses discours.

« Excuse-moi, me disait-il alors avec une douceur angélique qui m’arrache aujourd’hui des larmes, je t’inquiète, je te tourmente, mais j’aime à t’entendre : parle, cela me fait du bien.

« Un matin, il me dit qu’il se sentait mieux, qu’il avait lu la Bible, qu’il croyait à la grace. — Eh bien ! oui, lui dis-je, n’es-tu pas convaincu maintenant que tu dois être heureux ? que Dieu t’a accordé la force d’atteindre à ton but si noble, si difficile, et qu’il t’accorde maintenant la récompense de tes peines, dont tu recueilleras le fruit en jouissant de l’amitié, de l’estime de tes parens, de tes amis ?

« Souvent il venait mettre ses deux bras sur mes épaules, et, regardant mon travail : C’est bien, c’est très bien ; ta copie est mieux que la mienne, disait-il en poussant un soupir. Ça ne va plus, ma vue baisse ; je n’ai plus de plaisir au travail ! Je lui répondais : Quand tu te seras reposé et que tu feras un tableau original, tu auras sans doute plus de plaisir qu’en faisant cette copie (celle des Moissonneurs, pour le comte de Raczynski).

« Enfin, je faisais des efforts incroyables pour ranimer son courage ;