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qui ont marché de la Drave sur le Danube. Nous allons exposer par quelle série de mouvemens assez compliqués cette métamorphose s’est opérée.


II

De tous les griefs que les divers peuples qui partagent avec les Magyars le sol de la Hongrie mettaient en avant contre ceux-ci, Il en était un sans doute plus fondé que tous les autres. Après de longues luttes, les Magyars avaient contraint le gouvernement autrichien à renoncer, dans ses rapports avec la Hongrie, à l’usage de la langue latine et à adopter la langue magyare. L’opinion publique s’était passionnée sur ce point ; il semblait que, cette concession obtenue, tout était gagné et l’unité hongroise constituée ; l’amour-propre national en faisait une question de vie et de mort, un point d’honneur auquel personne ne pouvait se soustraire. J’ai vu des Hongrois élevés à Berlin ou à Vienne, qui n’avaient jamais parlé leur langue, l’entendaient à peine, et se croyaient obligés par cela même à de plus vives démonstrations. Le hongrois remplaça à la diète, dans les harangues au souverain, dans l’administration des affaires, le latin et l’allemand.

Tout n’était pas gagné cependant ; les Hongrois avaient conquis le droit d’employer leur langue dans leurs rapports avec l’Autriche ; il restait à l’apprendre aux populations nombreuses, plus nombreuses que les Magyars, si on les prend toutes ensemble, qui savaient bien mal le latin, il est vrai, mais qui ne savaient pas un mot de magyar. Ici commencèrent l’intolérance et la persécution ; les Magyars, qui trouvaient si dur qu’on les contraignît à parler une autre langue que la leur, ne reculèrent pas devant l’idée d’imposer celle-ci aux autres peuples. On obligea dans tous les villages, hongrois ou non, l’instituteur à donner ses leçons, le prêtre à faire ses prônes en magyar. A la diète, on ne toléra point d’autre idiome, ou on accorda des délais illusoires suivis de pénalités sévères : ces mesures rencontrèrent de vives résistances. On comprend quelle perturbation un tel changement amenait dans les habitudes les plus anciennes, les plus intimes ; mais ce fut surtout en Croatie que les prétentions des Magyars à être les représentans uniques de la nationalité hongroise et à imposer leur langue trouvèrent la plus vive contradiction.

Le nom de la Croatie a été rendu célèbre par la bravoure de ses habitans. On se rappelle ces régimens de Croates et de Pandours, ces hussards de la mort, comme on les appelait, qui s’étaient acquis une si terrible réputation dans les guerres du dernier siècle. La Croatie occupe la partie méridionale de la Hongrie, depuis la Drave jusqu’au point où le Danube, près de Belgrade, changeant brusquement son