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Dans une question de ce genre, ce n’était pas peu de chose, pour pacifier les esprits, que de savoir que ce souverain était aussi opposé à ces lois que pouvaient l’être les Croates eux-mêmes. C’était vers le gouvernement autrichien que se tournaient les vœux et les espérances de la Croatie ; elle votait avec le parti autrichien, et ne négligeait aucun des privilèges particuliers de sa constitution pour traiter directement avec Vienne, comme partie distincte et séparée de la Hongrie.

Ces dispositions des esprits s’exaltèrent beaucoup après le 16 mars ; on craignit que, de ce rôle quasi-égal des deux pays vis-à-vis de l’Autriche, la Croatie ne passât à l’état de sujette vis-à-vis de la Hongrie. La Hongrie avait déjà réclamé et obtenu de l’ombre de gouvernement qui siégeait alors à Vienne, qu’on lui rendrait l’administration des frontières militaires du royaume, jusque-là placée dans les attributions du conseil aulique. La population belliqueuse qui habite ces provinces appartient en grande partie à la nationalité croate. En passant ainsi sous la main du ministère hongrois, ces réservoirs féconds des armées impériales étaient perdus pour la défense commune de l’empire, et devenaient au contraire menaçans pour la Croatie. Enfin, la diète d’Agram se plaignait qu’on eût bouleversé sans son consentement exprès le mode d’élection de ses députés à l’assemblée de Pesth. Comme royaume séparé, la Croatie avait, dans certains cas, à la diète, un droit de vote particulier ; en augmentant le nombre de ses représentans ; on la privait de ce droit, sauvegarde de son indépendance ; en votant toujours par tête, son influence se perdait au milieu des voix plus nombreuses des comitats hongrois et de Transylvanie. On n’avait point voulu accepter ces usurpations ; on avait protesté, et aucun député croate ne parut à l’ouverture de la diète révolutionnaire de Pesth au commencement de juillet. Le gouvernement hongrois, préoccupé, comme il arrive après les révolutions, d’intérêts de coterie et du désir de mettre ses amis exclusifs au pouvoir, ne fit rien pour apaiser les défiances de la Croatie : il ne lui avait point fait sa part dans cette indépendance qu’il venait de conquérir pour les Magyars ; il ne fit pas plus la part aux individus dans le pouvoir qui lui était échu ; aucun Croate ne fut admis dans le ministère ou dans l’administration supérieure du royaume. C’était certainement une grande faute, et les conséquences de la situation que nous venons d’indiquer se manifestèrent aussitôt.

La diète slavo-croate venait d’élire pour ban le baron Jellachich de Bucszin. Il fut choisi comme le représentant des dispositions du pays vis-à-vis du nouveau gouvernement de Pesth. Dès son élection, Jellachich rompit donc avec la Hongrie. Tout porte à croire qu’aucune inspiration étrangère ne se mêla alors à cette détermination dont nous venons de dire les motifs, déjà anciens, évidens et personnels aux Croates. Ce qui le prouve, c’est que, dans les comitats du nord, les populations