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du palatin. Kossuth et Szémeré, ministre de l’intérieur, n’admirent point qu’on s’arrêtât sur la pente et que les menaces portées à Vienne fussent comme désavouées et reniées par la diète. Il fallait voter sans retard les mesures les plus énergiques.

Cette séance avait été précédée de la plus triste scène et d’un malheur qui, au milieu des malheurs publics et privés, n’a pu cependant trouver en Hongrie aucun cœur indifférent ; à l’étranger aussi, malgré les préoccupations universelles, les amis de ce noble et infortuné pays ont pris leur part dans cette affliction. Le comte Széchény, après vingt années d’efforts, de dévouement, d’éloquence, consacrées au progrès de sa patrie, à sa liberté, à sa gloire ; le comte Széchény avait voulu attenter à ses jours ! — Peu d’hommes, dans l’histoire contemporaine, ont plus fait pour son pays que cet illustre citoyen. Tout ce qui s’est passé en Hongrie depuis vingt ans vient directement de lui ou procède de lui ; c’est lui qui avait signalé le premier au pays les réformes que les diètes ont successivement adoptées. Ses écrits avaient été le véritable programme de l’histoire constitutionnelle de la Hongrie. Le comte Széchény avait accepté le gouvernement sorti de la crise révolutionnaire du mois de mars pour tempérer, pour arrêter son pays sur la pente fatale où il pressentait bien que Kossuth allait le précipiter. Malgré l’inconstance de la faveur populaire, son nom resplendissait encore au-dessus de tous les autres. Il avait été le fondateur de ce nouveau parti libéral et conservateur qui, pour la première fois en Hongrie, avait su arracher l’opposition aux vieilles habitudes de conspiration et de révolte, et aurait créé, à force d’éloquence, de raison et de loyauté, une monarchie constitutionnelle moderne entée sur le vieil édifice de saint Étienne. C’était là la tâche qu’il avait poursuivie vingt ans. Dans cette longue carrière, sa popularité fut souvent éclipsée, parce qu’il la sacrifiait au courage, à la raison ; mais elle revivait et reparaissait à toutes les grandes crises. Que dira Széchény ? se demandait-on, même quand la passion empêchait de le suivre. Aussi ce fut une consternation universelle quand le bruit se répandit à Pesth que l’illustre orateur avait voulu se jeter dans le Danube et qu’on l’avait sauvé à grand’peine.

La nouvelle n’était que trop vraie. A la suite d’une discussion véhémente avec Kossuth, cette raison si haute, ce bon sens si ferme, cet esprit vif et coloré, qui animait de ses images les discussions les plus arides de la politique, avaient chancelé et ployé sous le poids trop lourd, sous les coups trop répétés des événemens de chaque jour. Il y avait encore plus à pleurer cependant qu’à s’étonner : on n’use pas impunément, au service de sa patrie, sa jeunesse et sa vie ; on ne lui a pas consacré toutes ses facultés, sa fortune, ses jours et ses veilles, sans qu’un amer désespoir ne s’empare de l’ame, quand on voit périr cette