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un autre l’arrache hors de la voiture. Un poste de garde nationale, à l’issue du pont, arrive et veut le protéger ; Lamberg lève en l’air les lettres de l’empereur pour les montrer au peuple, et demande qu’on le conduise chez Kossuth. On le pousse à coups de fourche et de faux ; tout son corps était une plaie saignante : Le malheureux tombe au milieu du pont ; on se rue sur lui et on l’achève. Alors il est dépouillé de ses vêtemens, on lui attache une corde aux pieds, et on traîne le cadavre dans les rues de Pesth. Pendant que les maisons se fermaient sur le passage de cet effroyable cortége, la horde barbare poussait des cris de joie satanique, et, sur le pont, la bande qui revenait de la citadelle trempait ses bras dans les mares de sang et en teignait son drapeau. C’était bien là le drapeau rouge[1] !

Ainsi la guerre s’ouvrait par un assassinat, digne prologue d’une guerre impie, où se trouveront réunies toutes les horreurs qu’on peut attendre des haines de race, des fureurs de serfs affranchis la veille, du fanatisme religieux et politique, de la férocité de populations à demi barbares. Il faut remonter à la guerre de trente ans pour trouver quelque image des calamités qu’on entrevoit à l’horizon.

L’indignation fut grande à Vienne. Il fallait frapper ses ennemis et avouer hautement ses amis. Le manifeste suivant a paru, le 3 de ce mois, à Schoenbrünn, en même temps qu’un décret qui nommait le baron Adam de Recsey président du ministère hongrois.

« Nous, Ferdinand, empereur et roi constitutionnel, etc., etc.

« A notre grande douleur et indignation, la diète hongroise s’est laissé entraîner par Louis Kossuth et ses partisans à des illégalités. Elle a même rendu plusieurs décrets contre notre gré royal, et vient récemment de prendre une résolution contre notre plénipotentiaire le comte Lamberg, avant qu’il ait pu présenter ses pleins pouvoirs, résolution par suite de laquelle le comte a été attaqué et assassiné par une bande sauvage de meurtriers.

« Dans ces circonstances, notre devoir est de prendre les résolutions suivantes :

« 1° La diète est dissoute. Aussitôt après cette publication, ses séances seront suspendues.

« 2° Toutes les résolutions prises par la diète sans être sanctionnées par nous sont déclarées nulles et non avenues.

« 3° Toutes les troupes et corps d’armée de la Hongrie et des autres pays, ainsi que ceux de la Transylvanie, obéiront au commandement du ban de Croatie, Slavonie et Dalmatie, lieutenant-feld-maréchal baron de Jellachich.

« 4° Jusqu’au rétablissement de la paix, la loi martiale est proclamée dans toute la Hongrie.

« 5° Le ban Jellachich est nommé commissaire-général de sa majesté, avec des pouvoirs illimités, pour toute la Hongrie. Toutes les autorités civiles, militaires et ecclésiastiques, ont à lui obéir comme à nous-même.

  1. C’est à la suite de ce combat que les malheureux frères Zichy, cousins de la princesse de Metternich, ont été, dit-on, massacrés par les paysans. On prétend qu’on avait trouvé sur eux des lettres de l’archiduchesse Sophie. Tout est encore obscurité dans ce nouveau crime, si ce n’est le crime même.