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les progrès de nos socialistes et contrôler leurs doctrines avec l’infaillible mesure de l’athéisme germanique. M. Charles Grün est un admirateur passionné de M. Proudhon ; il le considère comme un véritable fils de Hegel, comme un frère de M. Strauss, de M. Feuerbach, de M. Stirner, égaré, on ne sait pourquoi, dans notre pauvre France. M. Charles Grün a même été le maître de M. Proudhon ; il lui a enseigné en détail cette philosophie allemande que M. Proudhon avait presque devinée tout seul, et, bien que l’élève, armé de sa logique pointue, ne soit pas facile à conduire, bien qu’il ait maintes fois désarçonné son maître, le maître est ivre de joie ; il discute, il critique, il surveille l’athéisme naissant du converti avec une paternelle indulgence. Le livre de M. Grün, resté inaperçu jusqu’ici, acquiert tout à coup un intérêt très vif. D’ailleurs, malgré la componction de sa foi dans l’athéisme, M. Charles Grün est un homme de beaucoup d’esprit. Je le signale comme le type le plus complet du jeune hégélien, type inconnu à la France, car où trouver ailleurs que dans l’Allemagne d’aujourd’hui ce néophyte de l’athéisme, plein de dévotion et de gaieté, faisant tour à tour de la métaphysique et des espiègleries, de la science et des gambades, à la fois pédant et frivole, sérieux et fantasque, et toujours divertissant sous tous ses costumes ? Une pareille physionomie est rare ; on sait que M. Proudhon n’est pas gai. Ce n’est pas tout : M. Grün connaît à fond tous nos socialistes ; il les a vus dans leur intérieur, dans le déshabillé de la vie familière ; il a fraternisé avec eux, s’est assis à leur table, a dormi sous leur toit, et, comme c’est le plus indiscret et le plus joyeux des missionnaires, son livre peut bien être détestable, mais, à coup sûr, il n’est pas ennuyeux. On dit que les Parisiens connaissent mal Paris et que les étrangers seuls en savent tous les coins et recoins je crois volontiers que pas un publiciste en France n’est aussi complètement initié que M. Charles Grün à l’histoire intime, aux personnalités plaisantes, aux mémoires secrets et authentiques du socialisme parisien avant le 24 février. Il y a tout profit à le suivre.


I

L’ouvrage de M. Charles Grün porte ce titre : le Mouvement social en France et en Belgique. C’est par la Belgique que l’auteur commence ses études, mais il la traverse rapidement ; on voit qu’il est pressé d’arriver à Paris. Dès le début, c’est de nous qu’il s’occupe, c’est la France qu’il invoque avec cette fantasque vivacité dont il abusera si souvent. Voici les premières lignes qui marquent très bien l’intention et la portée du livre : « Ce pauvre Paris ! il me tardait d’y être. A Cologne, quand la voiture m’emportait, je n’avais que cette chanson dans l’esprit