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Madam’ Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.

D’où venaient ces pensées de haine chez un socialiste ? Comment un socialiste peut-il chanter la Carmagnole ? Il est bien entendu pourtant que je ne l’ai pas chantée ; c’est elle qui se chantait elle-même dans ma tête. Ah ! cela signifie-t-il que, malgré notre étude profonde de l’homme et de ses droits, malgré le grand travail des idées allemandes, il faudra, pour en finir, avoir recours à la force, il faudra s’adresser au réalisme de ce peuple qui sait si bien planter ses idées à la pointe de son sabre et au bout du canon de son fusil ? Quoi qu’il en soit, c’est un symptôme assez sinistre que la Carmagnole puisse, je ne dis pas habiter tout-à-fait, mais simplement prendre un déjeuner dans le cerveau d’un écrivain allemand. » Ce refrain sanglant qui se chante lui-même dans l’esprit du pacifique rêveur, cette Carmagnole en haillons qui vient brusquement s’attabler, comme dit l’auteur, dans ce docte cerveau tout rempli de formules, c’est l’exacte image de la jeune école hégélienne. Il y a quelques années, lorsque M. Arnold Ruge essaya de fonder un journal à Paris, il cherchait dans l’esprit de la France le salut et l’avenir de la liberté germanique et, emporté par ses rancunes contre son pays, il avait presque renié l’hégélianisme. M. Charles Grün exprime plus fidèlement la pensée de son école ; il s’adresse à la France révolutionnaire, mais à la condition de lui apprendre la philosophie. La France plantera les idées allemandes à la pointe de son sabre, la Carmagnole se mettra en campagne au service des jeunes hégéliens.

En attendant, la Belgique fournit à M. Grün d’assez curieux portraits. Voici d’abord M. Bartels, le Louis Blanc de la Belgique, l’adversaire furieux de la concurrence, l’intelligent publiciste qui, pour corriger les erreurs de la liberté, propose tout simplement de la condamner à mort en instituant le monopole absolu de l’état. M. Charles Grün, rendons-lui ce témoignage, n’a pas plus d’estime que M. Proudhon pour ces déclamations où il n’y a ni science ni idées ; mais M. Bartels n’a pas la plume ambitieuse qui a rédigé le programme de l’organisation du travail, et c’est au rhétoricien de la démocratie française que M. Grün réserve ses impitoyables sifflets. Ajoutons une particularité intéressante chez M. Bartels : il est catholique exalté et combat à outrance le protestantisme. Tout autre est le patriote Lucien Jottrand, Wallon de naissance, qui s’est fait Flamand parce que le génie catholique de la famille romane est épuisé, dit-il, et que l’avenir appartient désormais aux races germaniques. On sait quelle est la lutte des Wallons et des Flamands sur le sol belge ; le jeune hégélien est donc tout fier de l’hommage rendu au génie allemand par un déserteur de la race romane ; il veut bien cependant nous défendre, et il emploie pour cela des argumens