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tout-à-fait inattendus. « La France n’est pas morte, s’écrie-t-il, car elle a douté, elle a nié, elle a détruit tout, et par là elle a fourni une ample matière aux investigations de la science allemande. La France agit, l’Allemagne explique et révèle la France. Le peuple qui a mis au monde le socialisme, même informe, est un peuple immortel. Qu’est-ce que le socialisme français ? Un système ? une théorie durable ? Non, c’est un embryon grossier ; moins que cela, c’est le germe d’un germe ; l’Allemagne lui donnera la force et la vie. Alors le dernier mot de la science aura été dit, et l’éternel problème sera résolu. » Voilà pourquoi M. Jottrand aurait pu rester Wallon et pourquoi cependant il n’a pas eu tort de se faire Flamand.

Un des plus curieux chapitres que M. Grün ait consacrés à la Belgique est celui où il a si vivement reproduit le portrait en pied de M. Jacob Kats. M. Jacob Kats est le véritable apôtre du socialisme populaire. Il faut qu’il prêche et qu’il enseigne du matin jusqu’au soir. Pour cela, il prendra tous les costumes : le matin, il est maître d’école ; dans l’après-midi, il fait des sermons socialistes ; le soir, il joue la comédie. Comédie ou sermon, le texte, cela va sans dire, est toujours le même, et, quel qu’en puisse être le mauvais emploi, c’est un touchant spectacle que cette naïve et infatigable charité. M. Grün nous peint d’une façon très amusante l’agitateur flamand, l’orateur inculte et passionné, devenu tout à coup directeur de théâtre, auteur, acteur, régisseur, maître d’orchestre, souffleur, et, pour ne rien oublier, moucheur de chandelles. Il y a là plusieurs pages écrites avec une excellente verve humoristique. M. Grün ajoute quelques mots sur M. de Potter et sur le vieux Buonarotti, l’un des compagnons de Babeuf et l’historien de sa conjuration. Il paraît que l’histoire de la conjuration de Babeuf par ce vieux démagogue de 93 a exercé chez nous une influence assez considérable depuis une dizaine d’années : c’est là, dit-on, que les partis extrêmes, dégoûtés des réformes politiques, auraient puisé leurs passions anti-sociales ; c’est ce livre qui aurait propagé, dans certaines parties du peuple, l’ivresse stupide du communisme. M. Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, avait laissé entrevoir quelque chose de cela ; M. Grün l’affirme expressément, et ce lui est une transition toute naturelle pour étudier enfin ce sombre foyer du communisme français, allumé, c’est lui qui le confesse, par l’ombre sanglante de Babeuf et la longue rancune de son complice.

C’est d’abord l’école saint-simonienne qui attire l’attention du spirituel voyageur. Le saint-simonisme, pour M. Grün, et ici je suis parfaitement de son avis, est le germe de toutes les utopies qui ont fourmillé chez nous depuis dix ans. Seulement je ne vais pas plus loin avec M. Grün, je me garde bien de voir dans Saint-Simon le prophète de la vérité future, et dans ses écrits les langues de feu qui descendirent sur les apôtres.