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Aut videt, aut vidisse putat per nubila lunam.


Cependant, lorsqu’il compare sa chimère, sa lune bien-aimée, avec les astrologues qui déjà croient la tenir, sa verve railleuse s’éveille et ne respecte rien. Plus il est attaché aux principes, plus il s’attribue le droit d’être irrévérencieux pour les personnes. Les saint-simoniens, M. Pierre Leroux, M. Louis Blanc, M. Cabet, enfin tous les confrères de M. Grün, les utopistes de toute robe et de toute couleur, défilent devant lui dans les plus étranges attitudes, et rien n’est plaisant comme cette solennelle procession du socialisme conduite par un pareil maître des cérémonies. Comment donc se fait-il que sa gaieté l’abandonne quand il nous parle des disciples de Fourier ? Pourquoi sent-il si péniblement l’abandon des idées phalanstériennes ? Serait-ce la punition qu’il a méritée pour avoir comparé le nécromant au philosophe, et persiste-t-il à demander au fouriérisme ce que le fouriérisme ne saura jamais lui donner ? Il faut bien le croire, quand on lit la fin de ce chapitre commencé d’une façon si funèbre. La salle s’est peu à peu remplie, la discussion a commencé, mais la solitude n’en paraît que plus triste. « À force d’ennui, dit M. Grün, j’allais me trouver mal. Il me sembla que tout à coup le prestige de cette salle s’était évanoui. Cette fois, j’entendais distinctement la pendule et non plus le bois qui battait la mesure. Les écailles me tombèrent des yeux ; je vis une réunion de philistins qui se nourrissaient tous de la chair d’un seul homme, d’un homme mort. Mon désenchantement fut tel que je me sentis saisi d’un frisson glacial. »

Je ne suivrai pas M. Grün dans ses recherches un peu trop personnelles sur le socialisme démocratique. Le portrait de M. Louis Blanc y est crayonné de la façon la plus joyeuse, sans méchanceté, je me hâte de le dire, sans malveillance aucune, mais avec cette richesse d’espièglerie qui est décidément le caractère de M. Grün. Tout ce qu’il dit de l’organisation du travail est excellent. Les erreurs des jeunes hégéliens sont quelquefois monstrueuses ; elles sont rarement vulgaires. Le souffle qui les porte, après tout, est le souffle d’un maître. Comment ne seraient-ils pas frappés de l’indigence d’un système qui voit dans la société un seul homme, l’ouvrier des villes, et dans l’univers des idées une seule question, la concurrence ? M. Grün aime à discuter la philosophie de chacun des socialistes : où chercher, où découvrir, hélas ! la philosophie de M. Louis Blanc ? Il est vrai que M. Louis Blanc a du moins l’étiquette d’une théodicée. Il parle souvent de Dieu, de quel Dieu ? on ne sait, mais enfin il en parle, et c’est lui, dit M. Grün, qui est le représentant de la Providence au sein de la démocratie socialiste. M. Grün ne manque jamais de provoquer en duel les socialistes qui admettent un Dieu ; ici cependant il renonce à la discussion, il est dés-