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dois donc, au-dessus des contradictions, placer la synthèse qui les efface. Au lieu d’opposer l’infini au fini, Dieu à l’homme, et d’en faire d’irréconciliables adversaires, je suis tenu de montrer comment cette opposition s’évanouit. Le christianisme a donné un magnifique symbole de cette construction philosophique. Dieu et l’homme, séparés par le péché d’Adam, sont rapprochés par l’homme-Dieu. La rédemption est l’incomparable synthèse au sein de laquelle disparaissent à jamais les antinomies de l’Ancien Testament. Si cette solution ne me satisfait pas, si elle n’a pas à mes yeux un caractère légitime, si elle me semble une aspiration de la conscience religieuse du genre humain plutôt que le produit nécessaire de la raison, j’en chercherai une autre, je chercherai la synthèse vraiment philosophique, mais je ne puis me dispenser d’en chercher une, et, jusqu’à ce que j’aie résolu le problème, je suis obligé de me taire. Voilà ce que me dit impérieusement ma logique. Et moi, infidèle aux principes que je proclame, loin de m’attacher à la conciliation des termes ennemis, loin de travailler à pacifier en moi ce monde métaphysique que ma loi des antinomies remplit de troubles effroyables, loin de chercher l’ordre, l’harmonie et l’unité, je m’établis au sein des discordes qui ne sont que l’œuvre de mon intelligence incomplète, et je déclame contre Dieu !

J’ai signalé clairement, je crois, la contradiction fondamentale, qui, la logique même de M. Proudhon étant supposée légitime, condamne et renverse toute sa philosophie. Comment s’étonner, après cela, des autres contradictions, vraiment innombrables, qui se disputent à chaque instant la pensée de l’auteur ? Cette logique, qui devait créer l’ordre dans l’humanité, n’a réussi qu’à faire de l’esprit de M. Proudhon un chaos inextricable. Lorsque M. Proudhon écrit deux pages, il y en a presque toujours une qui est la réfutation de l’autre. Je ne parle pas des contradictions inhérentes aux différentes phases du progrès social, et dont la critique forme le sujet même du livre ; je parle des contradictions qui troublent sa pensée et dont son orgueil ne se doute pas. Il affirme que Dieu est infini, et un peu plus loin que Dieu n’est pas l’absolu. Il affirme que l’idée de Dieu est « une idée gigantesque, énigmatique, impénétrable à nos instrumens dialectiques, comme sont au télescope les profondeurs du firmament, » et il fait l’analyse des attributs de Dieu, il décrit ses facultés, il prédit ses destinées avec la précision de l’anatomiste qui palpe et dissèque un cadavre. Il affirme que Dieu est incapable de prévoir, que la providence en Dieu est une contradiction inintelligible, et il reproche à Dieu de ne pas avoir prévu les misères du genre humain, il s’emporte contre ce qu’il appelle « la misanthropie de l’être infini, » il profère enfin sans trembler ces hideux blasphèmes qui ont épouvanté la conscience publique : « Ton nom, si long-temps le dernier mot du savant, la sanction du juge, la force du