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est donc rouverte au mysticisme, au fanatisme, et nous retournons sur nos pas ; moi, au contraire, en reconnaissant un Dieu, je proclame qu’il est l’ennemi de l’homme et que nous devons le combattre à outrance. — Bien que l’argument soit subtil et de nature à effrayer une école dont l’irréligion est le drapeau, les hégéliens ne s’y arrêteront pas. La loi des antinomies, diront-ils, ne vous enseigne-t-elle pas que toutes les oppositions doivent disparaître et que jusque-là la science n’est rien ? Comment terminerez-vous la lutte du fini et de l’infini ? Allez-vous retourner au symbolisme chrétien, à la médiation de l’homme-Dieu, à Jésus le rédempteur ? Pourquoi donc repousser les résultats de la critique hégélienne, laquelle, analysant l’essence de la foi, a prouvé, comme vous l’avez admis, que Dieu est un produit de la pensée humaine ? Pourquoi ne pas restituer à l’homme cette divinité dont il a revêtu si long-temps le spectre de sa conscience ? Si vous persistez à nous prêcher la guerre de Dieu et de l’homme, vous violez la loi de l’antinomie et de la synthèse. Si vous répondez que cette guerre amènera nécessairement la victoire de l’homme et la défaite de Dieu, vous prolongez inutilement une lutte imaginaire, puisque l’homme, par notre théorie, a déjà détruit l’idée de Dieu et pris le gouvernement du monde. — Tous ces raisonnemens nous paraissent fort étranges, à nous, pauvres profanes, qui n’avons pas reçu le baptême hégélien ; mais, une fois les principes admis, l’argumentation est invincible. Je ne sais vraiment pas ce que M. Proudhon répliquera, et j’ai bien peur, je l’avoue, que l’enthousiasme de M. Grün pour son élève ne soit blâmé par les grands prêtres de l’humanisme. Déjà M. Grün, dans les dernières pages de son livre, avait parlé sévèrement : « Il y a fagots et fagots, athées et athées, » lui disait-il, indiquant par là qu’on exigeait beaucoup. Déjà aussi M. Stirner, le vrai chef de l’humanisme, avait condamné les idées de M. Proudhon comme trop sentimentales ; il avait déclaré, en outre, que la fameuse définition, la propriété c’est le vol, contenait une reconnaissance implicite de la propriété : car propriété et vol, disait le docteur allemand, sont deux idées corrélatives, et celui pour qui le vol est un crime reconnaît par cela même que la propriété est sacrée. Triste sort de cette définition, qui valait, au dire de l’auteur, tous les millions des Rothschild, et qui devait être l’événement le plus considérable du gouvernement de Louis-Philippe ! M. Proudhon, comme on voit, était surveillé de près, et l’admiration candide de M. Grün n’était pas acceptée de tous ses amis. Que sera-ce quand on aura vu les hérésies du néophyte ?

M. Proudhon répétera peut-être ces lignes étranges, qui sont la conclusion de son dialogue avec les humanistes : « Pour moi, je regrette de le dire, car je sens qu’une telle déclaration me sépare de la partie la plus intelligente du socialisme, il m’est impossible, plus j’y pense, de