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chaque jour un nouvel appui dans des récits fabuleux partout accueillis avec la plus grande crédulité. En 1740 enfin, un écrit de Winslow soumit cette opinion à l’épreuve de la discussion scientifique, et malheureusement les recherches du célèbre anatomiste servirent moins à combattre qu’à fortifier le préjugé populaire. Winslow, qui lui-même avait été enseveli deux fois, s’attacha très complaisamment à faire ressortir le danger des inhumations prématurées. La conclusion naturelle à tirer de son écrit, c’était que la science manquait des moyens nécessaires pour distinguer la mort apparente de la mort réelle. Winslow avait écrit sa dissertation en latin, il ne s’était adressé qu’aux savans. Deux ans après la publication de cet opuscule, Bruhier d’Ablincourt le traduisit et recueillit au hasard cent vingt-deux observations, sans s’inquiéter de savoir si la source où il les puisait était authentique. Le travail de Bruhier était bien de nature à semer l’épouvante. Sur les cent vingt-deux personnes dont parlait Bruhier, quinze avaient été enterrées vivantes, quatre s’étaient réveillées sous le scalpel de l’anatomiste, et cent trois, réputées mortes sans l’être, étaient revenues à la vie assez tôt pour échapper à la froide prison du cercueil. Ces bizarres récits ne devaient être goûtés que des personnes étrangères à la physiologie et à l’art de guérir. Ils ne pouvaient soutenir l’examen et la critique d’un homme compétent ; aussi fut-il aisé de démontrer la part qu’avait eue l’imagination dans l’énumération funéraire de Bruhier. L’opinion publique, vivement émue, fut bientôt rassurée par Louis, le savant secrétaire de l’Académie royale de chirurgie. Ses lettres sur la certitude des signes de la mort forment une sorte de contre-poids à la dissertation si aventureuse de Bruhier. Celui-ci avait aveuglément accepté toutes les fables semées çà et là dans les livres ; Louis, au contraire, soumet chaque fait à un examen sévère ; il disserte avec une rare sagacité sur la vraisemblance des détails, et démontre qu’aucun des récits sur lesquels s’était appuyé Bruhier n’est de nature à convaincre un esprit sérieux. Louis compléta cette réfutation par des recherches intéressantes qui lui permirent d’affirmer, après plus de cinquante expériences, que la rigidité cadavérique est un signe certain de la mort.

Après les écrits de Bruhier et de Louis, plusieurs années se passèrent sans amener de progrès notables dans l’étude de la question. Les mémoires de Pinneau et de Thierry, celui que publia Durande en 1789, indiquent de sages précautions pour prévenir le danger des inhumations prématurées ; mais ils n’abordent pas le problème physiologique. C’est aux belles expériences de Haller sur l’irritabilité de la fibre musculaire que revient l’honneur d’avoir mis les savans sur la voie des caractères différentiels au moyen desquels on peut distinguer la vie de la mort. Haller avait constaté que les fibres charnues de l’oreillette droite du cœur sont celles qui conservent les dernières les attributs de la vie. Nysten marcha dans la voie tracée par Haller, et chercha un moyen sûr de reconnaître l’insensibilité musculaire. De tous les stimulans au moyen desquels les physiologistes ont poursuivi l’irritabilité dans les tissus, nul n’est plus puissant que le galvanisme. C’est à ce moyen qu’eut recours Nysten, en 1811, à l’hôpital de la Charité. Un courant électrique réveille la faculté de contraction dans le muscle qui vit encore. Celui-ci, détaché du corps, peut encore, pendant quelques instans, déterminer les mouvemens, quand il est stimulé par des piqûres, des déchirures ; mais, aussitôt que la vie y est complètement éteinte, en vain tourmenterait-on la fibre charnue par les excitans les plus énergiques, le muscle est