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les poumons et le cœur. Cette féconde découverte, due au génie inventif de Laënnec, dont la sagacité a donné ainsi au diagnostic des affections de poitrine une précision inespérée, a été empruntée avec bonheur par M. Bouchot dans la recherche des signes certains de la mort. L’auteur du mémoire couronné a exploré les bruits cardiaques toutes les fois que l’occasion favorable s’en est présentée. Un homme avait eu l’artère radiale divisée par un instrument tranchant ; l’hémorrhagie considérable qui en était résultée avait amené plusieurs syncopes dans un court espace de temps. Déjà la peau avait la blancheur du marbre, le pouls manquait, tout le corps était insensible. La main appliquée sur la région précordiale y sentait le froid et l’immobilité de la mort ; mais l’oreille y percevait à de longs intervalles un léger bruit : le cœur, véritable ultimum moriens, le cœur battait encore. On sait que l’hystérie a pu quelquefois simuler la mort au point de faire croire à de prétendues résurrections. Quand Raulin raconte qu’il a fait suspendre les funérailles d’une jeune fille hystérique, parce que la couleur des joues de la victime n’était pas totalement changée, il est probable que, s’il eût connu les bienfaits de la découverte de Laënnec et l’application qui vient d’en être faite, il eût pu immédiatement constater la persistance de la vie.

L’existence des battemens du cœur pendant la syncope n’a pas seulement une grande importance pour le diagnostic de la mort apparente, elle est encore une vérité de plus dont la physiologie vient de s’enrichir. Un tel fait est en contradiction complète avec l’opinion généralement reçue depuis l’illustre doyen de l’université de Halle. Frédéric Hoffmann. Cet homme, dont les nombreux écrits ont donné une si féconde impulsion à la science, professait que la syncope était due à la suspension complète des fonctions du cœur, doctrine soutenue plus tard par l’autorité d’un grand nom, de Bichat, qui la répandit, ainsi que ses élèves. Aujourd’hui l’auscultation en a fait justice, de sorte qu’on peut dire que, de tous les organes, le cœur est le dernier comme il est le premier qui se meut. C’est donc l’auscultation qui devra être employée comme un guide infaillible dans tous les cas où quelques doutes pourraient être conçus sur la réalité de la mort. On sait combien ces cas sont nombreux, depuis l’asphyxie des nouveau-nés jusqu’à l’insensibilité apparente produite par le froid et par l’ingestion de certaines substances vénéneuses. L’étude des causes qui déterminent ces états léthargiques ne rentrait pas dans le sujet traité par M. Bouchot. L’auteur du mémoire n’avait à se préoccuper que du mode d’application de sa méthode dans tous les cas possibles. En d’autres termes, quelle est la limite que la science peut assigner au silence du cœur pour que le praticien soit en droit de prononcer l’arrêt de mort ? L’observation clinique va nous répondre. Voyez les derniers instans d’un agonisant, et, dès que la respiration commencera à se ralentir, appliquez l’oreille sur la région précordiale : vous constaterez d’abord qu’un râle bruyant empêche d’apercevoir les battemens du cœur ; mais, dans l’intervalle qui sépare les deux dernières inspirations, et surtout au moment suprême où s’échappe le dernier souffle, vous entendrez d’une manière très distincte le double battement, alors que les pulsations seront insensibles sur la poitrine et le trajet des artères. L’intervalle le plus grand qu’ait rencontré M. Bouchot entre deux bruits est, chez l’homme adulte et le vieillard, d’environ six secondes. C’est celui de sept secondes qu’a trouvé M. Rayer. Aussi la commission, prenant un intervalle de temps cinquante fois plus grand que celui qu’indiquait l’observation,