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planétaires les lois de Newton et de Kepler. M. Leverrier n’a point été pour nous un génie prodigieux, un savant sans égal, mais le disciple intelligent de ces deux grands géomètres. Aussi aujourd’hui, quand à des éloges excessifs succèdent des attaques d’une inconcevable violence, pouvons-nous dire, sans être soupçonné de partialité, ce qui est résulté, pour l’édification de la science, de tout ce bruit.

On se rappelle que M. Leverrier, après avoir annoncé, le 1er juin 1846, la présence en un point du ciel qu’il désignait d’un astre encore inconnu, vint, trois mois après, le 31 août de la même année, donner à l’Académie de nouveaux développemens sur sa méthode et traça aux astronomes la marche qu’ils devaient suivre pour trouver l’astre annoncé. « La longitude de cet astre est de 327 degrés, disait l’astronome, mais il faut se garder de croire que cette position soit définie d’une manière absolue, et, si l’on ne le trouvait pas à la place que je lui assigne, il faudrait en étendre la recherche jusqu’à 10 et même 20 degrés en avant. » Comme on le voit, M. Leverrier, loin d’indiquer d’une manière absolue la position où l’astre devait se rencontrer dans le ciel, donnait, au contraire, aux erreurs supposables une latitude assez grande. Ayant opéré sur le calcul des perturbations d’Uranus, qui ne contient pas moins d’un dixième d’erreur, il ne pouvait, sans encourir un juste blâme, se renfermer dans de plus étroites limites, et cependant on lui fait aujourd’hui, pour les besoins de la cause, un grave reproche de sa réserve. Nous assistions à cette séance et nous suivions avec un vif intérêt l’analyse théorique exposée par l’habile astronome. Admirant la puissance du calcul qui fait que, du fond de son cabinet, un géomètre peut tracer l’orbite d’une planète qu’il ne connaît pas, calculer sa masse et sa distance, assigner le point du ciel où le télescope pourra la rencontrer, nous fûmes bien impatient de voir l’Observatoire se mettre à l’œuvre, osant à peine espérer que l’expérience confirmerait cette belle théorie.

Notre attente fut trompée, aucune communication de l’Observatoire ne vint consacrer la découverte de M. Leverrier. Y avait-il indifférence coupable, ou des jalousies, comme on en rencontre si fréquemment parmi les savans, empêchaient-elles que les observations ne se fissent ? Non, mais il faut bien dire, quoi qu’il nous en coûte, la raison de ce mystère : c’est qu’il y a peu d’instrumens à l’Observatoire, c’est que la grande coupole de cuivre qui s’oriente d’elle-même et a coûté tant d’argent est une cage sans oiseaux, et que le plus grand objectif dont on dispose n’a pas huit pouces de diamètre, c’est-à-dire la moitié de ceux avec lesquels on fait les recherches dans la plupart des observatoires d’Allemagne, d’Angleterre ou d’Amérique.

Nous devons savoir gré, dans cette circonstance, à M. Leverrier d’avoir tardé si long-temps à s’adresser aux astronomes étrangers. C’est cependant le 18 septembre que, voulant profiter du moment où les observations étaient encore possibles, et perdant tout espoir de faire constater la présence de sa planète par un astronome français, il écrivit à M. Galle de Berlin pour réclamer son concours. « J’ai reçu votre lettre le 23 au matin, lui répondit ce savant astronome, et, le 23 au soir, ayant dirigé ma lunette vers le point du ciel que vous m’avez indiqué, j’ai immédiatement aperçu votre planète. » Cette nouvelle, annoncée à l’Académie des Sciences avec enthousiasme par M. Arago, comme une éclatante confirmation de la théorie analytique employée par le géomètre français, parcourut rapidement le monde, et de tous les observatoires qui, plus heureux que